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Chère lectrice, cher lecteur,

La danse est un besoin naturel de l’homme, comme l’eau et la nourriture.

Face à une grande joie, notre cœur semble grandir jusqu’à opprimer notre poitrine et nous avons alors besoin de frapper dans nos mains, sauter, tourner sur nous-mêmes, chanter, serrer les autres dans nos bras, parfois même nous jeter au cou des inconnus ; nous dansons de joie !

Face à un grand malheur, nous faisons d’autres mouvements : nous levons les bras au ciel, nous nous frappons le front, nous nous prenons la tête à deux mains, nous tombons à genoux, nous donnons des coups de pied ou de poing, nous crions.

Mais les mouvements que nous éprouvons le besoin de faire sont aussi variés que la palette de nos émotions : c’est pourquoi il existe des danses amoureuses, des danses de colère, des danses de fête et, traditionnellement, des danses militaires et des danses religieuses.

Si nous ne dansons jamais, l’effet sur nous est le même que de ne pas assez boire ni manger : notre corps et notre âme s’étiolent.

Les bébés dansent

Tous mes enfants l’ont fait : à peine apprennent-ils à se tenir debout que, entendant de la musique, ils ont essayé de danser en secouant la tête et en pliant les genoux en rythme.

Personne n’a eu besoin de leur dire, ni même de leur montrer comment danser, pas plus qu’il n’a fallu leur apprendre à pleurer, téter ou faire dans leurs couches.

Avant l’âge d’un an, la danse était inscrite dans leur cœur.

Danser pour vivre ensemble

Les peuples qui vivaient en tribus ou en villages étaient toujours menacés par les conflits, les jalousies.

Aujourd’hui, lorsque nous n’aimons pas quelqu’un, il est en général possible de l’éviter, d’organiser notre vie pour ne plus le croiser.

Dans la tribu primitive ou le village traditionnel, ce n’était pas si simple. On ne pouvait pas partir. Il fallait absolument trouver le moyen de se supporter, vivre ensemble, et se réconcilier après les inévitables conflits. Sans quoi c’est toute la communauté qui était menacée, car chacun y tenait un rôle vital pour les autres.

Les danses tribales et danses villageoises ont donc toujours joué un rôle central pour la vie en société. Elles se pratiquaient en toutes occasions. Nous le savons : danser au milieu d’un groupe de personnes, même inconnues, crée un étrange sentiment d’union. C’est en général dans ces moments que l’on ressent de profondes bouffées d’amour universel, l’envie que cessent tous les conflits, les vaines disputes.

La danse a donc eu à travers les âges un rôle essentiel et vital pour permettre aux communautés humaines de perdurer.

Danser pour aimer

Est-il besoin de s’attarder sur ce point ? La danse prélude l’amour, suscite l’amour, exprime l’amour.

Elle entretient l’amour aussi. Quoi de plus émouvant qu’un couple de personnes âgées, unies depuis des décennies, dansant tendrement enlacées, malgré les ans, les épreuves, les orages, mais soudées par toutes les aventures et les moments de bonheur vécus ensemble ?

C’est évidemment une autre dimension qui s’exprime dans les danses de séduction si fréquentes sur nos écrans, toutes les variantes du pole-dancing (danser autour d’une barre verticale), strip-tease, danse du ventre… Ces danses sont ancrées dans les plus anciennes traditions.

Dans notre civilisation, la figure emblématique de la danseuse ensorceleuse est la jeune Salomé, à qui sa mère demanda de danser pour séduire le vieux roi Hérode et lui réclamer, en récompense de ses charmes, la tête de Jean-le-Baptiste.

Cet épisode qui inspira Rubens, Gustave Moreau et tant d’autres peintres, est raconté dans un de mes livres favoris, que j’ai déjà cité d’ailleurs (À rebours, de J.K. Huysmans). Je ne résiste pas au plaisir de reproduire ci-dessous ce morceau de bravoure de la littérature érotique :

« Dans l’odeur perverse des parfums, dans l’atmosphère surchauffée de cette église, Salomé, le bras gauche étendu, en un geste de commandement, le bras droit replié, tenant, à la hauteur du visage, un grand lotus, s’avance lentement sur les pointes, aux accords d’une guitare dont une femme accroupie pince les cordes.

La face recueillie, solennelle, presque auguste, elle commence la lubrique danse qui doit réveiller les sens assoupis du vieil Hérode ; ses seins ondulent et, au frottement de ses colliers qui tourbillonnent, leurs bouts se dressent ; sur la moiteur de sa peau les diamants, attachés, scintillent ; ses bracelets, ses ceintures, ses bagues, crachent des étincelles ; sur sa robe triomphale, couturée de perles, ramagée d’argent, lamée d’or, la cuirasse des orfèvreries dont chaque maille est une pierre, entre en combustion, croise des serpenteaux de feu, grouille sur la chair mate, sur la peau rose thé, ainsi que des insectes splendides aux élytres éblouissants, marbrés de carmin, ponctués de jaune aurore, diaprés de bleu d’acier, tigrés de vert paon.

Concentrée, les yeux fixes, semblable à une somnambule, elle ne voit ni le Tétrarque qui frémit, ni sa mère, la féroce Hérodias, qui la surveille. (…)

Elle n’était plus seulement la baladine qui arrache à un vieillard, par une torsion corrompue de ses reins, un cri de désir et de rut ; qui rompt l’énergie, fond la volonté d’un roi, par des remous de seins, des secousses de ventre, des frissons de cuisse ; elle devenait, en quelque sorte, la déité symbolique de l’indestructible Luxure, la déesse de l’immortelle Hystérie, la Beauté maudite, élue entre toutes par la catalepsie qui lui raidit les chairs et lui durcit les muscles ; la Bête monstrueuse, indifférente, irresponsable, insensible, empoisonnant, de même que l’Hélène antique, tout ce qui l’approche, tout ce qui la voit, tout ce qu’elle touche. »

« Bête monstrueuse » sans doute, mais le fait est que les hommes succombent au charme de ces danseuses « maudites » depuis l’origine des Temps, et que tout semble indiquer que ces exquises pratiques continueront longtemps à perdurer.

Danses et cultes

C’est là un des prodiges de la danse : cette capacité à nous absorber complètement, ou au contraire à nous faire sortir de nous-même, à nous rendre fou.

La danse est centrale dans le culte vaudou et dans les cérémonies magiques. Elle permet en effet de « faire sortir les esprits », ce que nous pouvons comprendre, dans le langage de la psychologie moderne, comme une capacité à exprimer les non-dits, la violence, les blocages que nous avons en nous, et de permettre un total « lâcher-prise » pour peu que nous surmontions notre réticence à nous mettre à danser (c’est le début qui est le plus difficile).

La danse est dangereuse. Elle peut dériver en crise d’hystérie, mouvements de foule. Chaque année, au Carnaval de Rio, l’excès des rythmes de samba mêlés à l’alcool, à l’insomnie dans le brouhaha des tam-tams et des sifflets, débouche sur une centaine de meurtres au moins [1].

Mais combien de morts chez nous du fait que l’on a largement cessé de danser ?

Fin de la danse : une nouveauté historique

Il y a peu, les Occidentaux avaient encore de nombreuses occasions de danser : bal populaire, bal des pompiers, bal du 14 juillet, bal du Nouvel an, bal du carnaval… Dans les classes aisées, on dansait autant, sinon plus, dans les salons. Cela commençait par le « Bal des débutantes ». Les immenses hôtels de villégiature qui furent construits dans les villes d’eaux et les stations balnéaires à la Belle-Époque (avant la Guerre de 14) étaient tous équipés d’immenses salles de bal qui s’illuminaient tous les soirs.

Et c’était ainsi dans toute l’Europe : les femmes portaient des robes de bal, les hommes portaient « l’habit » ou le « spencer » spécialement prévus pour mettre en valeur la tenue de leur cavalière, les militaires avaient des « tenues d’apparat » elles aussi pensées pour la danse. Et ces traditions remontaient facilement aux cours royales, Louis XIV, François 1er… et même jusqu’aux seigneurs du Moyen Âge qui dansaient à la musique des ménestrels dans leurs châteaux !

Autant dire que le fait que nous ayons cessé de danser depuis quelques décennies est une nouveauté radicale et absolue. Il reste bien sûr les technoparades et les rave-partys, mais les boîtes de nuit et « discothèques » elles-mêmes sont pratiquement passées de mode. La folle jeunesse qui dansait le « twist », que l’on voyait encore dans « Les tontons flingueurs » et le « Gendarme de Saint-Tropez », des films qui ont cinquante ans maintenant, n’existe plus.

Heureusement, la danse n’a pas entièrement disparu de notre société : beaucoup de jeunes pratiquent les danses de rue (break-dance, hip-hop, tecktonik). Même si les rappeurs sont en général assez statiques, certains dansent et tous sont entourés de danseurs/danseuses réalisant des chorégraphies souvent imitées par les jeunes.

Les risques d’être privé de danse

Ce sont davantage les adultes et les personnes âgées qui ont malheureusement beaucoup moins d’occasions de danser qu’autrefois. C’est vraiment à eux, donc, de réfléchir à ce qu’ils perdent, et de se prendre en main pour redécouvrir cette activité si saine et nécessaire.

Les inconvénients sont nombreux : d’abord, la danse ne remplit donc plus son office, à savoir favoriser rencontres, séduction, rapprochement et réconciliation dont nous parlions plus haut.

Nous sommes ainsi privés d’un moyen essentiel et vital d’exprimer et partager nos sentiments.

Mais le problème est également physique : la danse est extrêmement exigeante pour le corps. Elle réclame de la force, de la coordination, de la précision, de l’équilibre… mais aussi de la souplesse et de la grâce. Les danseurs se tiennent mieux, c’est bien connu. Ils marchent d’un pas sûr et alerte. La danse fait travailler tous les muscles, exerce le cœur, et stimule puissamment les capacités psychomotrices. Danser régulièrement, jusqu’à un âge avancé, permettait évidemment de maintenir une bonne forme physique, joignant ainsi l’utile à l’agréable.

D’un point de vue médical, la danse aide à prévenir la maladie de Parkinson et d’Alzheimer. Elle est forcément utile contre le diabète, l’obésité et les maladies cardiaques. Elle est très antidépressive.

Des cours de danse de salon existent dans la plupart des villes. Des psychologues et des médecins proposent de la « danse-thérapie », également pour accélérer la convalescence.

Les femmes paraissent en général plus motivées mais ma conviction est que les hommes le sont tout autant. Simplement ils sont plus orgueilleux, ils ont davantage peur du ridicule, ils craignent aussi de ne pas y arriver…

Mais une fois qu’ils s’y mettent, qu’ils dépassent leurs réticences, ce sont eux alors qui « mènent la danse » et qui épuisent leur partenaire.

Alors, Mesdames, n’hésitez pas à inscrire de force votre partenaire à un bon cours de danse. Vous n’en tirerez que des bienfaits.

À votre santé !

Jean-Marc Dupuis

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