Une bonne objection, à laquelle il faut prendre le temps de répondre
Suite à mon article « Faut-il avoir peur des psys », le journaliste de santé Yves Rasir m’écrit :
« Super article, mais je me permets un petit bémol : les psychothérapies peuvent être dangereuses quand elles instillent de « faux souvenirs » dans le cerveau des patients.
Il y a des psys qui sont de vrais malades et qui voient des incestes et abus sexuels partout. J’ai connu plusieurs familles brisées par ce genre d’accusations sans fondement.
En Belgique, après l’affaire Dutroux, il y a eu une véritable épidémie de « False Memory Syndrome », comme disent les Anglo-saxons. Et pour l’avoir dénoncée, j’ai perdu mon boulot à l’époque…
Je garde donc une dent contre certains thérapeutes et certaines méthodes charlatanesques.
Belle journée »
Merci, Yves, de ton message. Tu as raison. Je n’ai pas parlé spécifiquement de ce problème dans ma lettre. Elle était déjà très longue.
Mais je vais le faire aujourd’hui.
Ce qui se passe sur le terrain
Pour te répondre, Yves, ainsi qu’à tous mes lecteurs qui partagent ta préoccupation, je te propose de plonger d’abord dans la vie réelle d’un psychothérapeute.
L’histoire est racontée par le psychologue clinicien Dr Jordan Peterson (Professeur à l’Université de Toronto) dans son dernier livre, « Twelve rules for life » [1].
Un jour, une jeune femme entre dans son cabinet. Elle lui explique qu’elle a été violée : « J’ai été violée, je crois. Oui, j’ai été violée, au moins cinq fois. »
Le Dr Peterson sursaute. « Violée ? Cinq fois !! C’est terrible ! Mais pourquoi dites-vous « je crois » et « au moins cinq fois » ? Vous n’êtes pas sûre ? »
Et la jeune femme raconte son histoire.
Elle vit seule dans un studio HLM. Elle alterne les petits boulots. Elle se dit à la fois photographe, artiste, manutentionnaire et fait les marchés. Elle voudrait devenir styliste. Mais elle a fait des études de coiffeuse. Elle souffre de solitude. Le soir, il lui arrive de traîner tard dans les bars. Elle boit de l’alcool, trop. Parle avec des inconnus. Régulièrement, il lui arrive de se retrouver le lendemain dans un lit qu’elle ne connaît pas. Il s’est passé des choses pendant la nuit. Mais pour elle, ce n’est pas clair. Elle sait qu’elle n’a pas donné son consentement, que les hommes ont profité d’elle à cause de l’alcool. Mais elle ne s’est pas non plus débattue pour leur résister. Elle rentre chez elle et se sent salie, coupable, honteuse, désespérée… elle se demande si elle doit aller à la police… Mais elle n’est pas sûre. Elle a peur de ne pas être prise au sérieux. Alors elle se rend chez le psychologue pour se faire aider.
Que va faire, alors, le psychothérapeute ?
Cela dépend de sa vision des choses. Plusieurs cas sont possibles :
Premier cas, la jeune femme tombe sur un psychothérapeute qui accorde beaucoup d’importance à la sexualité dans l’inconscient (ce type de psychothérapeute est courant). Il est d’autant plus remonté qu’il a été touché par les récentes affaires de « Me-too » et « Balance-ton-porc ». Il pense que beaucoup d’hommes sont des violeurs qui s’ignorent, et qu’il est plus que temps que les femmes arrêtent de se faire exploiter. Voici, en substance, ce qu’il dira à cette femme :
« Ce qui vous est arrivé est horrible. Vous n’êtes pas la seule. Ces hommes n’auraient pas dû vous approcher, et encore moins vous entraîner dans leur lit. C’est clairement du viol. Vous n’avez pas donné votre consentement. Ils auraient dû voir que vous étiez alcoolisée. Ils sont d’autant plus coupables que vous étiez en position de faiblesse. Vous ne pouviez pas vous défendre. Vous avez été violée. Il faut aller à la Police et dénoncer vos agresseurs. Il faut arrêter toute cette violence contre les femmes. »
C’est la première possibilité.
Un autre psychothérapeute pourrait lui dire :
« Je comprends votre problème et que vous vous sentiez si mal. Pour éviter que cela ne se reproduise, il faudrait éviter d’aller seule le soir dans des bars et de boire trop d’alcool. Car le risque est grand d’attirer des personnes mal intentionnées. Mais je comprends que pour vous ce ne soit pas facile. Si vous sortez tard, si vous buvez trop, c’est parce que vous souffrez de solitude. Vous cherchez des contacts humains, et c’est normal car vous en avez besoin. Pourquoi ne pas rejoindre une association pour faire des activités qui vous plaisent, avec des gens de confiance ? Vous ferez de vraies rencontres qui sont bonnes pour vous. »
Et si la jeune femme tombe sur un psychothérapeute qui fait partie de ces « vrais malades qui voient des incestes et abus sexuels partout », comme dit Yves Rasir, voici ce qu’il lui dira probablement :
« Je vous comprends. Votre cas est clair : si vous vous faites régulièrement violer par des hommes, sans pouvoir réagir, c’est que vous avez été violée par votre père quand vous étiez petite. Inconsciemment, vous reproduisez, avec d’autres hommes, ce viol que vous avez refoulé (oublié) parce que vous n’aviez pas le choix. Vous étiez trop petite pour réagir et vous défendre. Votre inconscient a préféré faire disparaître ce souvenir trop pénible. C’est pourquoi vous n’en avez aucun souvenir. Mais il est toujours là, dans votre inconscient et il détermine votre rapport aux hommes aujourd’hui. C’est pourquoi vous êtes dans une telle souffrance et une telle vulnérabilité. Mais vous n’êtes plus la petite fille d’autrefois, impuissante face à son père. Aujourd’hui, vous avez la possibilité de vous défendre. Pour vous en sortir, il faut d’abord « tuer votre père », en langage symbolique, autrement dit couper le lien qui vous attache encore à lui, en le mettant devant ses responsabilités. Vous découvrirez que vous êtes une femme forte et vous saurez vous opposer aux hommes qui abusent de vous. »
Lequel des trois a raison ?
La réponse dépend des convictions personnelles de chacun. De votre façon de voir le monde. Chacun a son opinion (généralement très forte !) sur le sujet.
Mais le « miracle », si j’ose dire, de la psychothérapie, c’est que, dans les trois cas, la jeune femme va probablement aller beaucoup mieux si elle suit la voie qui lui est indiquée !
Le miracle de la psychothérapie : ça peut marcher dans les trois cas !
Dans les trois cas, la psychothérapie peut fonctionner. Car ce qui manque le plus à la jeune femme, c’est de donner un sens à ce qui lui arrive, pour pouvoir agir, et reprendre le contrôle de sa propre vie.
Dans le premier cas, la jeune femme pourrait donc admettre, comme lui dit le psychothérapeute, qu’elle est victime elle aussi du harcèlement généralisé des femmes par les hommes.
À la place de la confusion qui régnait dans son esprit émergera un ordre avec des bons et des méchants, du bien et du mal, une cause à défendre. Elle se lèvera chaque matin avec l’objectif d’obtenir justice et de faire cesser les persécutions contre les femmes. Moyennant quoi, elle fera probablement des rencontres, s’engagera dans des combats. Elle va devenir actrice de sa propre vie. Ainsi elle sortira du cercle infernal où elle est bloquée. Elle passera de la situation de victime immolée à celle d’activiste féministe. Elle ne sera plus la jeune femme déboussolée qui, régulièrement, se réveille dans le lit d’un inconnu. Sa vie aura pris un sens. Le chaos qui caractérisait son univers mental se changera en structure.
Dans le second cas, la jeune fille va aussi intégrer une nouvelle structure mentale, qui lui permettra de réagir face à sa situation douloureuse. En prenant conscience des raisons pour lesquelles elle est vulnérable (solitude menant à la fréquentation de lieux dangereux pour elle), elle pourra agir sur la cause profonde, à savoir son isolement. Elle pourra par exemple rejoindre une association où elle retrouvera des contacts normaux. Sa vie s’améliorera, elle aura moins de risque de se faire violer à nouveau, car elle mettra elle aussi de l’ordre à la place de son chaos intérieur.
Le cas du psychothérapeute « obsédé sexuel »
Le troisième cas est plus délicat en apparence. La jeune femme se sauve en accusant son père, ce qui lui donne la force de se protéger des autres hommes.
Mais le problème, à première vue, c’est le malheureux père accusé sans raison.
Faisons cependant un pas de côté.
La jeune femme n’est pas obligée de croire le psychothérapeute qui lui présente cette théorie du « viol ».
Si elle saute sur l’occasion pour attaquer son père, c’est qu’elle avait en effet un grave problème avec lui.
Le père n’a peut-être pas violé sa fille au sens propre. Mais si la jeune fille éprouve une telle envie d’en découdre avec lui, il y a une cause. Peut-être le père l’a-t-il humiliée, écrasée, abandonnée, faisant d’elle cette jeune fille déstructurée qui se retrouve à la merci du premier homme venu.
Le fait qu’un grave conflit éclate avec le père n’est alors pas du tout la « faute » du psychothérapeute. Il est comme un homme qui entre dans une maison pleine de gaz et qui, en craquant une allumette, déclenche l’explosion.
Explosion salutaire dans ce cas, qui permet aux choses enfouies de sortir enfin au grand jour, aux paroles d’être prononcées, aux explications nécessaires d’avoir lieu, et même, peut-être, à l’authentique pardon de se donner.
En parlant de viol, le psychothérapeute autorise la jeune fille à se rebeller contre son père. C’est une parole salutaire, qui l’a libérée, et permis une rébellion nécessaire.
La psychothérapie n’est pas une enquête de police
Attention à ne pas confondre avec une enquête de police. Nous sommes dans un cabinet de psychothérapeute, pas au tribunal. Le but est de faire sortir de l’inconscient de la jeune femme des blessures, des conflits anciens, qui peuvent expliquer ses souffrances d’aujourd’hui. Pour pouvoir les traiter et les guérir. Le viol, y compris « symbolique », par la maltraitance, en fait partie.
Ce type de propos menacent de « faire exploser » des familles ?
Oui.
Mais, aussi triste que cela puisse paraître, certaines familles ont besoin d’exploser. Trop de souffrances se sont accumulées. Les familles pathologiques existent. Des familles où chaque membre s’attache à faire souffrir au maximum un autre, ou les autres, et ce pendant des décennies. Personne n’ose mettre fin au conflit parce qu’on veut sauvegarder l’union familiale à tout prix. Mais l’union ne justifie pas la souffrance et la déchéance d’une personne. Ce n’est pas la majorité des familles, mais c’est une minorité significative des familles. Et les membres de la famille qui souhaitent rester unis ont toujours la possibilité de le faire.
Je suis évidemment d’accord avec Yves Rasir sur le fait que les échanges libres avec les psychothérapeutes ne doivent pas déboucher sur des condamnations en justice pour des faits qui n’ont pas été commis. De plus, la psychothérapie n’est pas une arme absolue, qui marche à tous les coups. Comme dans tous les domaines où intervient l’humain, la précision mathématique n’existe pas. Il y a des erreurs, des malentendus, des échecs.
Cependant, si prononcer le mot « viol » est la seule façon de faire enfin éclater une mise au point avec le père qui avait tant traîné, et eut de si fâcheuses conséquences pour la vie de la jeune fille, je suis pour.
À votre santé !
Jean-Marc Dupuis
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