Comment faire la paix sans être une bonne poire
Au cours d’un conflit, il est fréquent que la personne avec laquelle on se dispute propose de “faire la paix”.
On est alors bien tenté d’accepter. Les voix dans l’entourage ne manquent jamais pour nous inciter à tourner la page :
Quand j’entends cela, je réponds : “Hola, pas si vite !!!”
Ceux d’entre nous qui ont déjà surveillé une cour de récréation connaissent ces garnements qui disent à leurs camarades : “Tiens, tape dans la main, on fait la paix”, et qui en profitent pour frapper dans la dos dès que l’autre a cessé de se méfier.
De même, combien de parents disent à leurs enfants : “Si tu veux ta Game Boy, dis pardon à Maman !”
Le polisson a vite fait d’apprendre à grommeler un “Pardon Maman” insolent, d’obtenir sa Game Boy… et de recommencer ses méfaits.
Non, malheureusement, les choses sont un peu plus compliquées que cela, même chez les adultes, et à vrai dire, surtout chez les adultes.
Une petite notion de “psychologie des profondeurs”
Lorsqu’une personne vous fait mal, rien ne vous dit qu’elle ne le fait pas exprès, même inconsciemment.
C’est ce que Carl G. Jung appelait “la psychologie des profondeurs”.
Nous sommes très forts pour nous masquer à nous-même nos véritables intentions, surtout lorsqu’elles sont peu honorables.
Sans entrer dans des confessions personnelles trop intimes, je peux raconter l’histoire qui m’a enseigné cela pour la première fois.
Il s’agit du jour où j’ai “emprunté” un pièce de monnaie dans le porte-monnaie de ma mère pour m’acheter des bonbons. Ne pouvant m’avouer à moi-même que j’étais en train de voler, je me racontais que j’avais la ferme intention de la rendre.
Bien entendu, j’oubliais de le faire, et recommençais quelques jours plus tard avec la même intention, puis encore une nouvelle fois. Chaque fois, “j’oubliais” de rendre les pièces, et n’y pensais plus jusqu’au larcin suivant…
Un jour, je me fis prendre la main dans le sac, au sens propre comme au sens figuré.
On m’accusa d’être en train de voler. Je fus scandalisé de l’accusation. Je n’eus aucun mal à me mettre à pleurer et à protester sincèrement, ou du moins avec toutes les apparences de la sincérité, d’être accusé injustement.
De façon caractéristique, m’être fait attraper avait même augmenté mon sentiment d’être dans mon bon droit.
Mon inconscient avait fait un “excellent travail” pour me fournir de bonnes raisons de soupçonner celui qui m’avait attrapé d’être de mauvaise foi, mal-intentionné, etc.
Comment osait-il douter de ma bonne foi ? Comme pouvait-il être assez méchant pour m’accuser ainsi ! Quelle honte pour lui de m’avoir épié ! Moi, j’étais aussi pur que l’agneau qui vient de naître !
J’avais 7 ans.
Le psychiatre autrichien Alfred Adler a utilisé le terme “life lie” (mensonge de vie) pour désigner cela. Le “life lie”, c’est la fable que nous inventons de toute pièce pour nous persuader que nous sommes honnêtes et méritants, et ainsi fermer les yeux sur nos ratages, nos manquements, nos bassesses, et autres aspects sombres de notre vie.
En cas de conflit donc, on est obligé, même si l’autre a l’air sincèrement désolé et affirme ardemment vouloir se réconcilier, de se poser la question de savoir s’il ne se ment pas à lui-même.
C’est pourquoi se réconcilier n’est pas si simple. Quatre étapes sont nécessaires pour une paix authentique et durable :
1) Etape 1 : la demande de pardon authentique
Cette étape est cruciale. Quand on a fait quelque chose de grave, dire “Pardon !” ne suffit pas. C’est trop court, et trop facile.
Il faut être capable de dire “Pardon de t’avoir fait ceci ou cela”, en expliquant très précisément ce qu’on a fait de mal à l’autre.
Sans cela, on est pas sûr qu’on parle de la même chose. De plus, cette étape est nécessaire pour que la victime ne reste pas dans le déni de ce qui lui arrivé, et lui permettre de sortir de l’illusion que les agressions “n’arrivent qu’aux autres”.
Oui, nous avons été méchant avec elle, et il faut le reconnaître, sans prétendre que c’était “sans le vouloir”, “sans le savoir”, etc., ce qui ne serait qu’un moyen de minimiser notre culpabilité, et de rester dans le “life lie”.
C’est la première condition, nécessaire mais non suffisante, d’une authentique demande de pardon.
2) Etape 2 : la réparation
Si la personne est sincèrement désolée de ce qu’elle a fait, elle le montrera en essayant, par tout moyen, de réparer ce qu’elle a fait.
Bien souvent, la réparation effective est impossible. Quelque chose a été brisé définitivement, et c’est trop tard.
Mais dans ce cas, la personne doit faire preuve d’inventivité, pour essayer de prouver à l’autre qu’elle fait son maximum pour compenser.
Cette compensation ne doit pas se limiter à des paroles. Il doit y avoir des actes : don significatif, service rendu important, changement durable de comportement.
3) Etape 3 : l’engagement
Celui qui demande pardon ne doit pas seulement reconnaître précisément ce qu’il a fait, et s’efforcer de compenser au maximum de ses capacités.
Il doit encore donner à l’autre de bonnes raisons de croire qu’il ne va pas recommencer.
Cette étape est souvent négligée. Elle est pourtant capitale.
On veut se montrer généreux, aimant, avec le coupable. On veut prouver son affection, et sa grandeur d’âme, en montrant qu’on est capable de pardonner sans “faire d’histoire”.
Cela paraît généreux, mais c’est la mauvaise chose à faire.
Revoyez “Un tramway nommé Désir”, avec Marlon Brando, où la femme pardonne chaque fois à son mari alcoolique, qui chaque fois recommence.
Stella se réconcilie une nouvelle fois avec son mari Stanley (Marlon Brando) dans le film “Un tramway nommé désir”. Mais celui-ci ne lui a pourtant donné aucune raison de penser qu’il était capable de changer. Cette réconciliation de trop permettra à Stanley de violer Blanche, la sœur de Stella.
Stanley (Marlon Brando) peut ainsi recommencer et finira par abuser physiquement Blanche, la sœur de sa femme. Ce n’est qu’à ce moment-là que sa femme comprend son erreur. Elle le quitte, mais trop tard.
Le mal irréparable a été fait.
4) Etape n°4 : Le pardon accordé
Ce n’est qu’une fois les trois étapes précédentes franchies que le pardon peut être accordé, avec une chance d’aboutir à une paix durable et solide.
Mais attention :
D’abord, ce pardon n’est jamais obligatoire de la part de la victime.
Ne le faites que si vous le souhaitez, que si vous le “sentez”.
Il faut que cela vous apporte une joie profonde, un grand soulagement. Si au contraire vous éprouvez un sentiment mitigé, l’impression de vous faire un peu avoir, la conviction que “une fois de plus, c’est moi qui suis la bonne poire”, arrêtez-vous et prenez un peu de temps.
Le mieux dans ce cas là est de laisser passer du temps avant de vous réconcilier. Restez silencieux et offrez à l’autre un temps de mise à l’épreuve. Ce temps vous est nécessaire pour fortifier votre opinion. Attendez d’être sûr de vous.
Soyez attentif à cette “petit voix” qui vous parle, ce que Socrate appelait son “daemon”, et qui souvent est de très bon conseil.
Ensuite, même à ce stade, se réconcilier ne veut pas dire “on se remet ensemble et on recommence comme avant.”
Au contraire, mieux vaut en profiter pour établir de nouvelles règles, un nouveau fonctionnement.
Quoiqu’il arrive, celui qui a été offensé reste libre de disposer de sa vie comme il le souhaite.
Il n’a aucune d’obligation vis-à-vis de l’autre. Se réconcilier signifie ne plus entretenir de mauvais sentiments vis-à-vis de l’autre, ne plus chercher à se venger, voire éprouver une tendresse authentique pour l’autre, malgré tout.
On raconte que feu Jacques Chirac disait : “Je ne suis pas rancunier ; mais je ne suis pas amnésique non plus.”
Pour se réconcilier, il faut être deux
Si, après un grave conflit, tout ce que l’autre est prêt à faire est de déclarer, d’un air excédé :
“Bon, d’accord, eh bien, puisque cela semble si important pour toi, pardon”, ce n’est pas vous qui avez un problème, et qui n’avez pas fait le nécessaire.
C’est l’autre. Il n’a, tout simplement, pas envie de se réconcilier. Vous n’avez aucun moyen de le forcer à être désolé, à changer. Ce mouvement ne peut venir que de lui.
S’il ne veut pas le faire, il va falloir laisser derrière vous cette personne. Vivre, malgré tout, votre vie, malgré les blessures qu’elle vous a infligées.
Ce n’est pas facile. C’est un deuil à faire.
Mais la vie d’adulte n’est pas “l’île aux enfants”, des “rires et des chants”, “le pays joyeux des enfants heureux” et des “monstres gentils”.
Le mal, l’intention de nuire, le besoin, même, de faire souffrir, existent chez l’Homme. Il est nécessaire parfois de prendre des mesures pour s’en protéger, même si on aurait aimé que cela soit autrement.
A votre santé !
Jean-Marc Dupuis
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