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Confinement : la révolte des aînés

Selon le dernier Bulletin épidémiologique hebdomadaire, 93 % des personnes décédées du coronavirus avaient plus de 65 ans et 81 % avaient un ou plusieurs gros problèmes de santé préalable (comorbidité).[1]

La moyenne d’âge des décès est de 81 ans.

Le pays tout entier est mobilisé pour stopper la contagion et épargner des vies. Beaucoup de personnes jeunes, en pleine santé, s’inquiètent d’attraper le coronavirus bien que les risques d’en mourir ou de garder des séquelles soient infimes.

Mais qu’en pensent les premiers concernés, c’est-à-dire les séniors ? Sont-ils favorables aux mesures de confinement prises pour les protéger ? Trouvent-ils normal que l’économie mondiale soit à l’arrêt pour prolonger leurs jours ?

On sait qu’une grande majorité s’est révoltée lorsqu’il a été question de les maintenir en confinement obligatoire jusqu’à la fin de l’année.

Le Pr Axel Kahn de la Ligue contre le cancer témoigne avoir reçu une avalanche “d’appels désespérés” suite à ces annonces (heureusement annulées entre temps) :

“Les personnes se demandaient si elles allaient rester assignées à résidence jusqu’à la fin de leurs jours, sans possibilité de voir le ciel autrement que par la fenêtre.  J’ai alerté Emmanuel Macron sur ce que cela pouvait engendrer : une forte colère, un sentiment de révolte, voire une perte de goût à la vie, avec, au final, un risque que ces personnes rejettent ces mesures et ne participent pas à leur propre protection. Sans parler du caractère illégal d’une mesure qui aurait discriminé 18 millions de personnes, induit des contrôles policiers pour vérifier leur âge… Absurde. Le confinement prolongé des personnes âgées, ce n’est pas tenable.

“ Nous savons, en tant que médecins, que pour aider les gens, il ne faut jamais rompre avec eux. Il faut les accompagner en leur proposant ce qu’ils sont capables d’accepter, ce à quoi ils peuvent adhérer. Ce que nous disons aux personnes âgées ou à celles atteintes d’un cancer, c’est de gérer leur déconfinement de manière spécifique : éviter les réunions familiales, voir les petits-enfants sans les embrasser… En revanche, il faut qu’elles puissent aller prendre l’air, se promener, en portant un masque.”

En Suisse, les personnes âgées ont également dit leur révolte dans les journaux. Bien que plus vulnérables au coronavirus, le confinement ne leur convient pas [2]:

“Mon père est mort dans un établissement médico-social après avoir vécu deux ans attaché à une chaise. Est-ce vraiment cela qu’on veut pour nos vieux ? A titre personnel, je préfère perdre une ou deux années de vie et continuer à voir mes petits-enfants – j’en ai 11 – que me murer dans la solitude”, témoigne Eric Denzler, 85 ans.

« Bien sûr que je continue à sortir ! Les personnes âgées ont plus de risque de mourir de peur et d’isolement que du Covid-19. Je suis attristée par la panique qui saisit certains de mes amis âgés. C’est ce stress qui va finir par les tuer”, s’inquiète Jeannette Meier, 75 ans.

« J’ai 77 ans, j’ai une belle retraite, une vie sociale très riche et, avec mon épouse, on s’occupe beaucoup de nos petits-enfants. Tout est en suspens… Même si on est âgé, on devrait avoir le droit de décider si on veut prendre un risque ou non. Si je tombais malade, je serais désolé, mais j’accepterais mon sort, car c’est dans l’ordre des choses », déclare Olivier Guinet.

Leur attitude est appuyée par l’analyse de David Le Breton, professeur de sociologie à l’Université de Strasbourg, qui estime que “l’enfermement (même volontaire) peut avoir des conséquences dramatiques”[3]. C’est ce que le personnel soignant des EHPAD appelle le syndrôme du “glissement”, les personnes âgées qui ne reçoivent plus de visites se laissent lentement mourir de solitude et de désespoir.

Rappelons toutefois que l’objectif du confinement est d’éviter l’engorgement des hôpitaux.

La question donc n’est pas de savoir si les personnes âgées acceptent le risque d’attraper le coronavirus, mais plutôt : sont-elles prêtes à mourir seules chez elles, sans bénéficier des coûteux soins prodigués en milieu hospitalier, qui occupent des lits en salle de réanimation ? Et ont-elles un moyen de dire : “écoutez, je prends mes responsabilités, ne mobilisez pas tous les moyens nécessaires pour me sauver si je tombe malade ?”

C’est le grand dilemme de cette crise. Personne, bien sûr, n’ose mettre ce sujet sur la table, et le discuter.

On préfère se taire, faire semblant de rien, pour ne fâcher personne.

L’enfer est pavé de bonnes intentions

Au-delà du problème des seniors en bonne santé qui ne souhaitent pas rester confinés jusqu’à la fin, se pose la question, encore bien plus douloureuse, de toutes les personnes malades qui meurent actuellement dans le plus grand isolement.

On parle de “sauver des vies” mais on peut aussi gâcher toute une vie en privant une personne de la présence de ses proches au moment du grand passage.

“Il est saisissant que, du plus profond de leur surconfinement forcé, ce soit en définitive les personnes âgées qui, en ce temps, fassent retentir pour toute la société le cri de la dignité humaine blessée”, affirme Mgr Matthieu Rougé. [4]

“La vie, c’est aussi les autres”, a déclaré un autre philosophe, Alain Finkielkraut. Pour la personne qui meure comme pour celles qui l’accompagnent et doivent la laisser partir, ce n’est pas un caprice que de vouloir tenir la main, serrer dans ses bras la personne une dernière fois, “recueillir son dernier souffle” comme on disait autrefois.

Ce souffle peut être infiniment précieux. Combien d’aveux, de pardons, de promesses, de réconciliations, ont-elles eu lieu sur un lit de mort ?

Combien plus difficile est le deuil sans ces dernières paroles, sans avoir pu se dire adieu correctement ? En effet, après avoir perdu un proche, on a besoin de comprendre ce qu’on a bien fait, mal fait, ce qui aurait dû être fait. Ce processus est encore plus  douloureux, lorsqu’il nous a été interdit de partager les derniers moments du mourant.

La cérémonie des obsèques elle-même est pratiquement devenue impossible. Pas moyen de partager les pleurs, d’apporter ni de recevoir du réconfort, de se prendre dans les bras, car cela est désormais incompatible avec les “gestes barrières” obligatoires.

Que sommes-nous en train de sauver, donc ? Quel genre de vies allons-nous avoir si, en plus de la perspective commune de la maladie et de la mort, nous devons nous préparer à vivre ces épreuves sans pouvoir être entourés, sans contact, sans cérémonies ?

Il faut se contenter d’un rituel symbolique, un “ersatz”, par exemple allumer une bougie, dire bonjour à une photo, planter une graine pour la faire germer. Mais est-ce suffisant ? On ne peut même plus acheter des fleurs puisque les fleuristes sont fermés !

« Cette dame de quatre-vingt-dix-neuf ans n’est pas morte physiologiquement du Covid mais elle s’est laissé mourir du chagrin d’être ainsi confinée. Ces autres victimes du Covid, personne n’en parle », expliquait un prêtre des Hauts-de-Seine. [5]

Des souffrances que les mots ne peuvent pas décrire

Toutes ces réflexions s’ajoutent pour nous faire prendre conscience qu’une terrible tragédie est en train d’avoir lieu sous nos yeux.

Le coronavirus semble n’être que le déclencheur, le révélateur, d’un manque de capacité de réflexion, de sagesse, de préparation, à tous les niveaux (gouvernements, OMS, systèmes de santé débordés), avec des médias et des réseaux sociaux qui jettent en permanence du carburant sur les consciences déjà surchauffées, alimentant la psychose tandis que des banlieues s’embrasent.

Tout cela produit une masse de souffrance que les mots ne peuvent pas décrire. La douleur extrême est muette. Les personnes les plus frappées par les drames liés au coronavirus ne sont pas sur des plateaux télés, à la radio, ni en train de diffuser des messages incendiaires sur Twitter.

Elles sont seules. Silencieuses. Des larmes coulent sur leurs joues. Personne ne les entend, ne les écoute. Et pourtant, ce sont elles qui méritent le plus notre attention, notre affection, notre compassion.

Elles ne sont pas forcément à l’autre bout du pays. Elles peuvent être près de chez nous, et tout ce dont elles auraient besoin est d’une présence, d’une écoute, même silencieuse. Qui d’entre nous pourra les leur apporter ?

A votre santé !

Jean-Marc Dupuis

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