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Ma fille Carine veut « faire médecine ».

Nous en sommes ravis : nous avons eu de nombreux médecins dans la famille et il n’y en avait plus à ma génération ni à la suivante.

Mais nous avons aussi été obligés de l’avertir des difficultés qui l’attendaient.

Comment on devient médecin

Les études de médecine commencent par une année d’intense travail. Les étudiants doivent acquérir des bases en biologie, physique, chimie, physiologie, embryologie.

De quoi s’agit-il ?

Ils doivent étudier le fonctionnement des atomes, des molécules, de l’ADN, des protéines, des enzymes, des cellules, autrement dit ce qui se passe au plus petit niveau de l’être humain.

Ils étudient la fécondation puis le développement de l’embryon jusqu’à la quatrième semaine de grossesse : comment se font les bébés.

Ils apprennent les parties du corps (anatomie) et le fonctionnement des os, muscles articulations, organes et systèmes digestif, respiratoire, cardio-vasculaire, nerveux, hormonal (physiologie).

La différence entre la biologie, l’anatomie et la physiologie n’est pas évidente. Mais on se rend compte qu’elles n’ont rien à voir quand on les étudie et que chacune de ces matières est importante.

– La biologie est une science qui étudie la forme, le fonctionnement, la reproduction, la diversité des espèces vivantes.

– L’anatomie est la science qui étudie la forme, la disposition et la structure des organes de l’homme : anatomie du cerveau, du poumon, du rein…

– La physiologie est une partie de la biologie. Elle étudie les fonctions et les propriétés des organes et des tissus des êtres vivants.

Les étudiants de première année de médecine ont aussi des cours de physique sur la mécanique des fluides et la radioactivité, utiles pour l’imagerie médicale (scanners, radios) qui utilise des ondes, des produits de contraste radioactifs que l’on injecte aux patients pour visualiser leurs organes, et pour les traitements de radiothérapie.

Ils étudient les médicaments : leur fabrication, leur usage et la façon dont ils pénètrent dans le corps. C’est ce qu’on appelle la pharmacologie.

Ils ont enfin des cours généraux sur l’histoire de la médecine, les risques environnementaux pour la santé, les populations à risque de certaines maladies, l’éthique médicale, la statistique et les probabilités.

Tout cela est fou pour une « année » qui ne dure que huit mois, de septembre à mai.

C’est une année d’intense bachotage, où la mémoire joue un rôle décisif. Le programme est immense, mais il sera repris et approfondi par les élus qui passeront en deuxième année.

Car 80 % des étudiants prendront une autre direction que celle de la médecine après l’examen tant redouté de la première année !

La suite des études

Les étudiants talentueux et travailleurs qui ont réussi le concours suivent deux années supplémentaires d’études théoriques.

Ils continuent à étudier la physiologie, l’anatomie et la pharmacologie, mais également :

  • la sémiologie, qui est l’étude des signes et symptômes des maladies ;
  • la microbiologie, qui est l’étude des bactéries, des champignons et des virus ;
  • la pathologie, qui est l’étude des maladies.

Tous ces mots en « -ologie » font tourner la tête. Ils impressionnent. Le simple fait d’en connaître vaguement la définition et de les ressortir en public vous donne déjà un air supérieur.

Et encore n’ai-je pas cité l’oto-rhino-laryngologie, l’étude de la bouche, du nez et de la gorge, ni l’anatomopathologie, c’est-à-dire l’étude des effets des maladies sur les tissus.

À noter qu’il convient d’abréger cette dernière expression en « anapath’ » pour produire un effet stupéfiant maximal sur ses amis et collègues : « Ma fille est en pleine rédaction de son mémoire d’anapath’. T’imagines l’ambiance à la maison… »

Mais au-delà du vocabulaire, qui nous rappelle que la médecine de Molière n’est jamais loin, il faut noter que ces études théoriques de médecine restent incroyablement courtes, vu l’étendue des savoirs que les étudiants sont censés maîtriser.

Qui a consacré trois années à étudier un sujet, quel qu’il soit, sait à quel point c’est peu.

Trois ans de piano, ce n’est presque rien. Trois ans d’histoire : à peine de quoi connaître les grandes périodes. Trois ans de mathématiques : l’enfance de l’art. Trois ans dans un sport : le temps de s’initier.

Certes, les étudiants en médecine s’y consacrent à plein-temps. Mais le fait est que les études théoriques resteront assez limitées, car l’essentiel de la formation médicale est pratique. Elle se fait au côté des professeurs de médecine qui exercent dans les CHU (centres hospitaliers universitaires), au contact des malades. C’est en observant, en écoutant et en reproduisant les gestes des médecins chevronnés que les étudiants acquièrent l’essentiel de leur savoir.

C’est pourquoi commence, dès la fin de la 3e année, une nouvelle phase : l’externat.

L’externat : de la 4e à la 6e année d’étude

Dès la 4e année de médecine, les étudiants consacrent la moitié de leur temps à des stages pratiques dans les hôpitaux, et l’autre moitié seulement à des cours à l’université. Ils sont donc déjà au contact des patients.

Ils commencent à faire des « gardes », c’est-à-dire à rester 24 heures de suite à l’hôpital, de 8 h 30 du matin à 8 h 30 le lendemain, notamment pour assurer l’accueil aux urgences.

S’ils ont des cours à ce moment-là, ils ne pourront pas y assister. Ils servent de « tampon » pour éviter de déranger l’interne (voir section suivante), qui lui-même n’ira déranger le médecin que si c’est indispensable.

L’externat est l’occasion de découvrir les différents services de spécialités dans les hôpitaux : pédiatrie, gynécologie, urgence, chirurgie, médecine interne…

La « médecine interne » est une spécialité médicale qui s’intéresse aux maladies compliquées, qui touchent plusieurs organes à la fois, ainsi qu’aux patients souffrant de plusieurs maladies (polypathologie). C’est la médecine des cas complexes, qui ne peuvent être traités par le spécialiste d’un seul organe (cardiologue, pneumologue, neurologue…).

Les spécialistes en médecine interne sont appelés des « internistes ». Ils ne doivent pas être confondus avec les étudiants internes, qui sont les étudiants en troisième cycle de médecine.

L’internat : dernière ligne droite

Après trois années d’externat, et donc six années d’études de médecine, les étudiants passent un concours très important : celui de l’internat, aujourd’hui appelé « Épreuves Classantes Nationales » (ECN).

Suivant leur classement, les étudiants pourront choisir leur spécialité et leur ville d’affectation.

La durée de l’internat varie alors selon leur choix : pour les futurs médecins généralistes, il dure 3 ans ; pour les futurs chirurgiens, 5 ans.

Les étudiants effectuent au moins six stages de six mois chacun, et continuent à suivre quelques cours théoriques, mais qui ne représentent plus que 10 % de leur temps.

Le principe consiste à acquérir une expérience pratique au contact de médecins chevronnés.

Les années d’internat sont aussi consacrées à la rédaction d’une thèse, c’est-à-dire un travail de recherche. L’étudiant valide ses stages, passe son diplôme d’études spécialisées et obtient enfin son diplôme d’État de médecine.

Le voilà enfin « docteur en médecine », à l’issue d’un périple qui aura duré entre neuf et onze ans s’il n’a redoublé aucune année.

Dire la vérité aux futurs médecins

Tout cela correspond en gros à ce qui est écrit dans les brochures présentant les études de médecine.

Mais concrètement, le scénario est en général le suivant.

Le jeune veut faire médecine parce qu’il a vu des films, lu des livres avec des médecins en héros.

Il rêve d’un métier qui ait un sens, où il puisse aider les autres, qui lui offre même la possibilité d’une vie aventureuse avec Médecins Sans Frontières ou comme dans la série « Urgences » et, à tout le moins, une situation professionnelle respectée.

Bon élève au lycée, à l’aise en sciences, il s’inscrit en médecine et se met à travailler comme un forcené pour réussir son concours de première année, qu’il ratera dans 60 % des cas (60 % des étudiants qui réussissent le concours de première année ont redoublé au moins une fois).

Devenu enfin interne au bout de sept ans d’études, il est confronté à beaucoup de frustrations dans les hôpitaux.

Pour un aperçu de ce que vivent certains étudiants, regardez cette vidéo qui vient d’être mise en ligne par un interne en chirurgie orthopédique au centre hospitalier universitaire régional de Brest :

http://ift.tt/2gFAzkE

Elle a été visionnée plus de 600 000 fois et a surtout circulé parmi les professionnels de santé, qui tous s’accordent sur la réalité des faits : « C’est tellement vrai, on peut faire un copier-coller dans les autres spécialités et hôpitaux. Courage les internes ! », commente, par exemple, Valérie, infirmière en chirurgie ambulatoire. « C’est valable pour toutes les spécialités et toutes les fonctions ! », confirme Géraldine, qui met en cause « les jolies méthodes de management et les objectifs économiques » des hôpitaux.

Je n’ajouterai pas de commentaire, à part que je suis bien content, quand je vois ça, de contribuer, à ma modeste mesure, à limiter le choc ou peut-être à retarder au maximum pour mes lecteurs le moment où ils se retrouveront confrontés à cet univers…

Pour les patients, ce constat est inquiétant, mais pour l’étudiant en médecine qui vit tout cela, on est désolé de toute cette perte d’énergie qui aurait pu être dépensée positivement.

Osons parler d’argent

Mais ce n’est pas tout, malheureusement. De plus en plus se pose aux futurs médecins la question de la façon dont ils gagneront leur vie.

À partir de sa première année d’externat, soit sa cinquième année d’études s’il a redoublé une fois, l’étudiant en médecine commence à percevoir entre 150 et 350 € par mois selon le nombre de gardes qu’il effectue.

Cet argent fait la jalousie des autres étudiants. Ils comprennent mal que certains « privilégiés » puissent être payés pour étudier. Mais l’étudiant externe travaille dur pour les patients dans les hôpitaux, souvent la nuit et les week-ends, avec des tours de garde de 24 heures, qu’il assure en priorité les jours de fête.

Une fois interne, à l’issue d’un nouveau concours difficile, il redouble de travail et de temps de présence dans les hôpitaux. Les jours où il n’est pas de garde, il y passe dix à douze heures.

Il touche alors 1 200 € net en première année, 1 400 € en deuxième année, 1 600 € en troisième année, etc. Il reçoit 100 € par garde de 24 heures (4,16 € l’heure).

À l’issue de leurs études, beaucoup commencent comme remplaçants avant de pouvoir installer leur propre cabinet médical. Sur une consultation à 23 €, on leur retire immédiatement 7 € pour les frais de location du cabinet, de secrétariat, de téléphone, etc.

Sur les 16 € restants, 8 partent en charges sociales diverses et variées. Il reste alors 8 €, sur lesquels ils devront encore payer leur cotisation pour la retraite, leur CSG-CRDS et, bien entendu, leur impôt sur le revenu.

S’ils consacrent vingt minutes par consultation, ils parviendront à gagner 20 € nets environ de l’heure. Cela peut paraître correct par rapport à d’autres professions, mais la plupart des médecins auraient pu, s’ils l’avaient souhaité, envisager d’autres métiers beaucoup plus rémunérateurs et pas forcément plus exigeants.

Pour se faire là aussi une idée de ce qu’est concrètement la vie d’un médecin généraliste en France, loin des clichés revanchards qui continuent à présenter les médecins comme des « privilégiés », on peut lire le reportage suivant, publié il y a déjà cinq ans sur le site de L’Express, sachant que la situation a empiré entre-temps : http://ift.tt/2kJF1mR.

On comprend que c’est le sens de leur mission et leur conscience professionnelle uniquement qui permettent de maintenir intacts leur motivation et leur dévouement auprès de leurs malades.

Ce que je dis à ma fille Carine

Nous encourageons donc notre fille Carine à se lancer dans ces études parce que la profession de médecin reste une des plus belles du monde, mais en ayant parfaitement conscience des obstacles qui l’attendent.

Il faut qu’elle soit absolument claire quant à ses motivations : on ne devient pas, on ne devient plus médecin aujourd’hui pour acheter un statut social, une « situation professionnelle » confortable.

À de rares exceptions près, comme certains radiologues bien organisés, certains laboratoires d’analyses qui parviennent à fonctionner à la chaîne, certains « pontes » pratiquant des expérimentations osées, les médecins connaissent aujourd’hui une situation matérielle qui ne correspond plus aux efforts et aux sacrifices qu’ils ont consentis pour obtenir ce diplôme, ni à leur talent et à l’énergie qu’ils doivent déployer dans leur métier – et je ne parle pas des risques juridiques auxquels ils sont de plus en plus exposés.

Un tel système ne me paraît pas durable : si l’on ne réforme pas rapidement et vigoureusement notre système de santé, l’hémorragie de médecins, les déserts médicaux ne pourront que s’étendre rapidement et entraîner notre pays vers une régression sanitaire.

À ce moment-là, les médecines naturelles, par les plantes, ne seront plus une option mais une obligation. Ce que nous ne souhaitons pas, car la médecine conventionnelle, pour les urgences, les diagnostics et les opérations chirurgicales, garde et gardera toujours sa place centrale dans notre système de soins.

À votre santé !

Jean-Marc Dupuis



from Santé Nature Innovation http://ift.tt/2kYNDEJ

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