« Jean-Marc, je te jure, on n’est pas préparé à ça, personne ne peut se préparer à ça ! »
Ce sont les mots d’un vieil ami dont le père vient d’être diagnostiqué malade d’Alzheimer. Il est pourtant comme moi dans la santé naturelle et avait lu de nombreux livres sur Alzheimer.
Ça s’est fait d’un coup : il y a deux mois, au téléphone, son père lui explique qu’il revient d’un voyage en Grèce avec un ami d’enfance, pourtant disparu de longue date, et qu’il doit partir à l’usine alors qu’il était retraité.
Sur le coup, mon ami n’a pas compris. « Il y a un problème », s’est-il dit, « quelque chose a disjoncté. »
C’est vous qui ne reconnaissez plus le malade
Quand vous avez connu quelqu’un depuis des décennies, la transformation est impossible à croire au début.
On dit souvent que les malades d’Alzheimer ne reconnaissent plus leur entourage.
Mais l’inverse est vrai aussi : vous non plus, vous ne reconnaissez pas la personne malade d’Alzheimer.
Vous essayez d’avoir toujours la même logique qu’avant. Mais c’est une logique que la personne malade ne peut plus entendre. Elle est entrée dans un autre monde.
Vous imaginez qu’il suffit d’aller plus lentement, de répéter, d’être patient… Mais non !
C’est pourquoi la maladie d’Alzheimer est si traumatisante pour l’entourage.
Vous vous retrouvez sous le même toit qu’un inconnu. Et il va falloir apprendre à vivre avec, sachant que vous ne pouvez plus compter sur l’échange, la raison, la parole, les promesses. Cette personne, physiquement présente, vit dans un monde mental séparé.
Le choc est tel que vous en venez à douter vous-même de ce que vous pensez. À certains moments, vous ne savez plus si c’est la personne qui a un problème, ou si c’est vous.
Le traumatisme d’une vie où toutes les règles ont sauté
Elle peut décider de se lever en pleine nuit pour partir faire des courses ; ou au contraire chercher son pyjama pour se mettre au lit à onze heures du matin.
Mettre ses déchets dans le frigo, cacher le trousseau de clés de la maison après avoir tout verrouillé, décider d’un coup de partir vivre ailleurs et s’en aller sans la moindre préparation, etc.
Peu importe ce que vous dites, ce que vous pensez, ce que vous faites ni même qui vous êtes : ce n’est plus en fonction de cela que la personne va réagir. Elle peut vous prendre pour son conjoint, son père, son frère, votre frère… elle peut vous jouer des tours, vous faire des méchancetés, parfois même vous frapper.
Si c’est votre père ou votre mère, la seule façon d’affronter (un peu plus) sereinement ce drame est de vous dire que vous devez vous en occuper comme il ou elle s’est occupé de vous bébé, sans se formaliser parce que vous faisiez des colères, des bêtises, et que vous réclamiez une attention constante.
L’énorme différence bien sûr est que, chez un enfant, on constate les progrès de jour en jour, on sait en général que ça ne peut aller que dans le bon sens.
Que valent les conseils diffusés un peu partout ?
D’innombrables livres, sites, organismes, associations, donnent des conseils aux personnes qui accompagnent les malades d’Alzheimer :
- Faites régulièrement des pauses, confiez le malade à quelqu’un pour ne pas craquer, partez régulièrement en vacances.
- Ne vous isolez pas, demandez de l’aide, rapprochez-vous d’un groupe de soutien.
- Ne vous créez pas de fausses joies quand le malade semble soudain se souvenir de quelque chose qu’il avait oublié : ces rémissions font partie du processus de progression de la maladie.
- Ne vous étonnez pas des changements profonds de caractère et de personnalité. C’est normal. Ne prenez pas pour vous les méchancetés que le malade dit ou fait.
- Si le malade a oublié qu’une personne de son entourage était décédée, inutile de le lui rappeler. Vous lui feriez de la peine et, de toutes façons, il aura à nouveau oublié un peu plus tard.
- Envisagez le placement en institution, vous en avez le droit, et cela peut-être plus sûr pour le malade, etc.
Tous ces conseils (et il y en a bien d’autres) sont utiles.
Il faut les connaître, et les suivre quand on s’occupe d’une personne souffrant d’Alzheimer.
Leur limite est qu’ils ne répondent absolument pas aux angoisses véritables des personnes qui ont un proche touché par Alzheimer.
Répondre aux angoisses des personnes accompagnant un malade d’Alzheimer
Ces angoisses sont les suivantes :
- Si elle (ou il) m’oublie et oublie tout ce que nous avons vécu ensemble, que restera-t-il de notre relation ? Notre relation a-t-elle encore un sens ? Notre amitié/amour est-il mort ?
- Les gens qui me voient croient que je vis avec cette personne mais elle est devenue un inconnu que je ne reconnais plus et qui ne me reconnaît plus. Je suis donc seul, je souffre de solitude ; où trouver la chaleur, l’amour et l’amitié tout en restant fidèle à cette personne, pour ne pas la trahir ?
- Si une maladie peut transformer à ce point une personne et réduire à néant des décennies de relation, à quoi bon avoir vécu tout cela ensemble ? À quoi bon vivre tout court ? La vie a-t-elle le moindre sens ?
J’ai formulé ces interrogations à ma manière. Il y a en a d’autres. L’essentiel est que la maladie d’Alzheimer remet en cause les relations qui nous étaient les plus précieuses (souvent un parent ou un conjoint) et semble nous priver du sens de notre existence.
C’est la raison pour laquelle tant de personnes tombent en dépression alors qu’elles s’occupent d’un malade d’Alzheimer. Ce n’est pas uniquement parce qu’elles sont inquiètes et fatiguées par les soins continuels qu’elles doivent prodiguer (même si c’est extrêmement dur physiquement et aussi moralement).
La cause de la dépression, c’est aussi et surtout parce que s’effondre sous leurs yeux, apparemment dans le néant, la chose la plus précieuse de leur vie, la chose qui leur était le plus nécessaire : la relation d’amour ou d’amitié avec un être cher, remettant en cause toute leur vie et toutes leurs raisons de vivre.
Alors, comment faire face ??
Construire une philosophie personnelle
Le seul moyen de ne pas chuter dans le précipice qui s’ouvre sous vos pieds, c’est d’avoir une solide philosophie personnelle sur la vie, et si possible avant d’être confronté au problème (cependant, si ce n’est pas le cas, il n’est jamais trop tard pour bien faire).
Cette philosophie, pour être complète, doit inclure la possibilité de la maladie d’Alzheimer.
Cela veut dire que lorsque vous considérez les personnes qui vous sont chères, vous devez avoir de bonnes raisons de penser que vous ne perdrez pas vos raisons de vivre ou de les aimer si elles développent la maladie d’Alzheimer.
Chacun a son approche. Personne ne peut évidemment rien imposer dans ce domaine.
Tout ce que je peux faire est de partager avec vous ma façon de voir les choses.
Peut-être cela vous inspirera-t-il. Ou peut-être aurez-vous envie de faire différemment.
Quel que soit votre choix, cela me convient parfaitement. Mon but est seulement de proposer des pistes, de réfléchir à voix haute avec vous.
Mon approche très personnelle
La philosophie personnelle que je propose, c’est l’impératif de renoncer à l’attitude de consommateur vis-à-vis des personnes que nous aimons (nos parents, notre conjoint, nos enfants et même nos amis).
Autrement dit, pour chacune de ces personnes, intérioriser le fait que ce n’est pas uniquement parce qu’elle est tendre/belle/riche/reconnaissante/intelligente/intéressante/agréable/serviable/disponible/généreuse/admirative de vous que vous l’aimez.
Bien sûr, ces raisons ont pu contribuer au départ à favoriser votre attachement mutuel. C’est normal.
Mais quand l’amitié ou l’amour murissent se crée un lien plus profond, qui va au-delà de tout cela. Ce lien, c’est la confiance, le respect mutuel et plus encore le souvenir qui est en vous de tout ce que vous avez vécu ensemble, qui vous a façonné, qui constitue l’histoire de votre vie et explique ce que vous êtes devenu.
Ce souvenir, c’est notre trésor. C’est tout ce qui restera quand nous aurons tout perdu. C’est même notre plus grand trésor, celui que rien ni personne ne pourra jamais nous prendre.
Mais ce trésor n’existe pas, il est une illusion si ma prétendue fidélité, mon prétendu attachement devaient disparaître parce que les circonstances ont changé.
Concrètement, pour bien réaliser ce que cela veut dire, on peut prendre une feuille de papier et écrire : « J’aime mon enfant/mes parents/mon ami/mon conjoint parce que…
et compléter avec des raisons qui ne tiennent pas aux qualités de cette personne, des raisons qui restent vraies si cette personne change.
Par exemple :
« Parce que c’est elle qui m’a permis de comprendre telle chose importante. »
« Parce qu’elle m’a pardonné ce jour-là alors que personne d’autre n’aurait pu me pardonner… »
« Parce qu’elle a été la seule à me tendre la main dans ce moment difficile et que sans elle je ne serais plus rien aujourd’hui… »
« Parce qu’elle m’a fait découvrir telle passion qui a donné son prix à mon existence… »
« Parce que nous avons eu et élevé ensemble cet enfant qui est la prunelle de mes yeux… »
« Parce que sans elle, je n’aurais jamais pu… (compléter) »
Normalement, si vous faites l’exercice avec honnêteté, la conclusion évidente qui viendra sous votre stylo sera :
« Et par conséquent, qu’elle ait la maladie d’Alzheimer ou autre chose, jamais, jamais je ne l’abandonnerai, sans quoi je ne pourrai plus jamais être heureux et en paix avec moi-même.»
Le courage incarné
Beaucoup de personnes qui s’occupent avec une patience admirable d’un proche malade d’Alzheimer font cet exercice spontanément, sans y penser.
Et c’est là qu’elles puisent le courage de ne pas désespérer. Au contraire, cette fidélité de leur engagement renforce leur conviction intérieure d’avoir mené une belle vie avec la personne, jusqu’au bout.
Cela n’exclut pas bien sûr les moments, les longs moments d’angoisse, de peur, ni la souffrance de la solitude, et encore moins les regrets du passé.
Mais cela leur permet d’éviter qu’une fêlure irréparable se crée dans leur cœur, jetant à bas tous leurs souvenirs et leur faisant considérer pour nulle toute leur vie, passé, présent et même avenir.
Comme je le disais au début, l’idéal est de se construire cette philosophie avant d’être confronté au problème d’Alzheimer chez un proche, lorsqu’on a encore le temps, et la tête froide.
Mais ce qui est beau, c’est que cet exercice est aussi très utile y compris si personne autour de vous n’attrape jamais Alzheimer.
À votre santé !
Jean-Marc Dupuis
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