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Chère lectrice, cher lecteur,

Le Viagra était à l’origine un médicament développé contre l’angine de poitrine, une maladie cardiaque douloureuse due à un rétrécissement des artères coronaires (les petites artères qui irriguent le muscle cardiaque).

Les tests cliniques échouèrent pour l’angine de poitrine mais les patients masculins signalèrent un « étrange » effet secondaire de ce médicament, qui fit sa célébrité.

En effet, le Viagra fonctionne en dilatant les artères, augmentant l’afflux de sang dans les organes, tous les organes, surtout ceux qui ont déjà une tendance naturelle à gonfler [1] !!

Divine surprise. Les chercheurs décidèrent de repositionner le médicament pour un tout autre usage. Ils essayèrent d’en donner à des hommes de 75, 85, 95 ans, l’effet était le même. Ils le testèrent sur des hommes de tous âges souffrant d’impuissance : même succès.

Bien entendu, comme pour tout médicament, ils observèrent aussi des effet indésirables : gros mal de crâne (céphalée) une fois sur six à une fois sur dix ; éruptions cutanées, étourdissements, vision déformée dans un cas sur 25 à un cas sur 50. Plus rarement, ils ont observé des pertes de l’audition (définitive), des crises cardiaques (infarctus du myocarde), de graves problèmes du nerf optique (neuropathie ischémique) [2].

N’empêche : ils venaient de découvrir la solution à un problème obsédant de l’humanité depuis ses origines, le succès populaire était garanti.

Ces dix dernières années, le Viagra a généré pour la firme qui le produit, Pfizer, près de 20 milliards de dollars de recettes [3] ! Pour bien mesurer la somme époustouflante que cela représente, je vous la mets en chiffres : 20 000 000 000 $, soit 1500 ans de salaire pour un groupe de 1000 travailleurs au SMIC.

Mon problème avec le Viagra

Mon problème avec le Viagra est le même qu’avec le parachutisme.

Je comprends parfaitement que les hommes aient fortement envie d’en faire, et que cela justifie à leurs yeux de prendre un risque pour cela.

Mais parle-t-on vraiment d’un sujet médical ?

Autrement dit, est-ce aux experts du ministère de la Santé de dire aux gens :

« Vu l’intérêt que cela aurait pour vous de retrouver une vie amoureuse active, nous jugeons que les risques que vous courrez avec ce médicament se justifient, par exemple de perdre la vue, l’ouïe, ou de faire une crise cardiaque. ».

À mon avis, pas du tout.

C’est très différent du cas des médicaments qui soignent une maladie.

Dans ce cas, on vous dit par exemple : « Vous avez la tuberculose. Les antibiotiques peuvent vous guérir de la tuberculose, avec le risque d’effets indésirables ; toutefois, après avoir examiné les données scientifiques, nous vous garantissons que les risques des antibiotiques sont bien inférieurs aux risques de la tuberculose, donc cela vaut la peine pour vous de vous soigner. »

Les autorités de santé sont là dans leur rôle.

Elles vérifient pour vous, car chaque patient n’a pas forcément le temps ni la compétence pour le faire, que tel médicament comporte moins de risques que la maladie qu’il combat. C’est ce qu’on appelle le « rapport bénéfice-risque » d’un médicament.

Dans le cas de l’impuissance, on ne court pas de risques à pas se soigner, ne pas prendre de Viagra.

Certes, on me rétorquera qu’il y a le « risque psychologique », risque de dépression peut-être, pour un homme privé d’une partie de sa virilité. Et que chacun a bien le droit pour lui-même de décider qu’il a envie de s’amuser ou passer un bon moment, même si cela pourrait avoir pour lui des conséquences funestes.

Je suis absolument d’accord avec ça.

Mais, encore une fois, on ne parle plus vraiment pour moi d’une décision qui doit être prise par les autorités de santé, ni même un médecin.

Comme pour le parachute, la moto et tant d’autres activités qui procurent un intense plaisir aux hommes, la décision de prendre du Viagra devrait à mon avis être une décision personnelle, aux risques et périls de chacun.

À noter enfin que les effets du Viagra ne sont que physiques : le Viagra n’augmente pas le désir amoureux chez l’homme. Cela veut dire qu’il lui permet de s’engager dans une activité sexuelle sans ressentir quoi que ce soit pour l’autre, sans que l’autre n’ait besoin de faire ni éprouver quoi que ce soit pour lui, avec toutes les conséquences bizarres et frustrantes que cela implique.

Les effets peuvent être très tristes sur la relation entre les conjoints, ainsi qu’en témoigne un best-seller sorti aux Etats-Unis sur le sujet) [4].

Le Viagra féminin qui serait « trop efficace »

Quinze ans après le Viagra, les sociétés pharmaceutiques sont en train de renouveler leur exploit avec l’annonce d’une « pilule rose » (après la célèbre pilule bleue) qui augmenterait cette fois le désir féminin.

Une campagne de presse extrêmement habile a été lancée pour en faire la promotion, avec un succès énorme en France.

En effet, les spécialistes de public relations de l’industrie ont eu l’idée géniale de raconter que cette pilule était « trop efficace » et que l’Agence du médicament aux USA (FDA) risquait de refuser sa commercialisation par crainte que toutes les femmes ne se transforment en « infidèles frénétiques » et que cela provoque du « désordre dans la société » [5].

Ces affirmations farfelues, venant d’un simple journaliste du New York Times [6] , ont immédiatement été répercutées par une grande partie de la presse française qui a fait semblant de s’offusquer que l’on puisse vouloir priver les femmes de leur droit au plaisir [7], comparant l’opposition au Viagra féminin à celle qu’il y avait eue contre la pilule dans les années 60 [8].

En réalité, les hésitations des autorités de santé américaines n’ont rien à voir avec une quelconque tentative fantasmée de priver les femmes de la même chance que les hommes, qui eux ont le Viagra.

Leur réticences proviennent du fait qu’il s’agit d’administrer à des femmes un mélange de Viagra (avec les mêmes effets sur les artères, dont elles n’ont pas forcément besoin) et de testostérone, ou alors de la flibanserine, un vieil antidépresseur qui n’a fait ni la preuve de son efficacité, ni celle de sa sûreté. Selon certains, il s’agirait même d’une simple tentative pour son propriétaire, le laboratoire Boehringer Ingelheim, de « recycler » un vieux médicament dont il ne savait trop que faire [9].

Si la FDA hésite, c’est à cause du manque d’efficacité et des dangers de ce produit.

Dans les études, il augmente en moyenne le désir féminin de deux échelons (sur 84 !), cause des vertiges et des nausées suffisants pour avoir fait abandonner 15 % des femmes au cours de l’essai, il a un effet sédatif et accroît le risque de dépression. Avec l’alcool, il peut provoquer des syncopes. Enfin, il n’a été évalué que sur de très courtes périodes alors que, contrairement au Viagra, c’est un médicament qui ne se prend pas à l’occasion de l’acte sexuel, mais de façon continue, sur des années [10].

Je vous encourage vivement à lire l’article suivant paru sur le blog de Médiapart : Viagra féminin, n’avalez pas n’importe quoi (http://ift.tt/1g6MLtm).

Qui a vraiment intérêt au Viagra féminin ?

Comme mentionné ci-dessus, le Viagra (masculin) agit uniquement sur le physique, tandis que dans le cas du Viagra féminin, il s’agirait d’augmenter le désir et le plaisir, ce qui est une tout autre paire de manches.

Quiconque a dépassé le stade de la sexualité d’un ado de 15 ans sait que, dans ce domaine, la question de l’intimité, la confiance et oserais-je dire l’amour pour le partenaire est absolument centrale [11].

Une femme connait en outre des fluctuations dans le désir qui sont aussi naturelles que normales : cycle menstruel, maternité, ménopause. Ces contraintes doivent être respectées par l’homme même si c’est dur pour lui (sans mauvais jeu de mots).

Le désir féminin peut enfin être affecté par la dépression, les douleurs liées à une condition passagère (modification hormonale) et par des maladies chroniques (diabète, sclérose) ; traiter alors l’absence de désir ou de plaisir indépendamment des causes sous-jacentes est une atteinte au droit de la femme d’être reconnue comme souffrante et soignée comme telle.

Dans ces conditions, et dans l’hypothèse où il serait efficace, présenter ce médicament comme un progrès, une nouvelle « victoire » pour la femme, est une inversion de la vérité.

Les grands gagnants de l’opération seraient évidemment les hommes qui, je le rappelle, n’ont pas de plus grande vanité que d’avoir l’impression de provoquer du désir et du plaisir chez les femmes – et c’est exactement ce que leur offre le « Viagra féminin ».

On ne s’étonnera pas d’ailleurs que la société qui a inventé ce produit, « Emotional Brain », ait été fondée et dirigée par un homme, Adriaan Tuiten [12], que son directeur scientifique Joes Bloemers soit un homme [13], tout comme le président de son comité de supervision, Ango Joldersma [14].

Tous très préoccupés, donc, et pour des raisons purement désintéressées, par le problème d’augmenter la libido féminine…

À votre santé !

JMD



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