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La politesse élémentaire avec les plantes

La Nature explose en ce moment de fleurs, de jeunes pousses, de jeunes plants.

C’est à cette époque de l’année, en général, que nous redécouvrons ces merveilles… mais aussi notre ignorance.

À quelle famille appartient cette plante ? Quel est son nom ? Peut-on la manger ? Bien vite, nous nous sentons un peu bêtes et regrettons d’avoir perdu la connaissance des paysans, botanistes, herboristes, voire des sorciers d’autrefois, pour qui toutes ces plantes étaient des amies.

Des amies ?

Eh bien justement, que faisons-nous quand nous rencontrons une nouvelle amie  ?

Commençons-nous par lui dire : « Ah, tiens, voici un intéressant spécimen d’Homo sapiens femelle. Elle appartient à l’ordre des primates, à la classe des mammifères. Elle a actuellement 54 ans, pèse 63 kilos et présente une intéressante complexion blanche et des poils blonds. » ?

Non.

Ce serait impoli.

Vous commencez par vous présenter et vous intéresser à elle, à sa vie, ses goûts, ses joies et ses épreuves.

C’est la seule façon de bien la connaître. Peu importe la classification biologique de la personne.

Eh bien, je vous propose cette année la même approche avec les plantes.

Laissez les classifications botaniques pour plus tard

Vous n’avez pas besoin, dans un premier temps, de savoir si vous avez affaire à une solanacée ou à une ombellifère.

Ces termes scientifiques sont utiles aux professionnels, mais il faut savoir que les classifications des plantes ont changé de nombreuses fois au cours de la (très courte) histoire de la botanique scientifique.

Dans l’Antiquité, les plantes étaient regroupées selon leur utilité : celles qui se mangeaient, celles qui soignaient, celles qui empoisonnaient, celles qui permettaient de faire des tissus, des teintures, ou qu’on utilisait lors des processions (comme le laurier pour les triomphes), etc. On considérait que les plantes avaient une âme et servaient l’homme, qu’elles faisaient le lien entre les êtres inanimés et les êtres animés, qu’elles pouvaient éventuellement se transformer en animaux.

Mais d’autres classifications sont vite apparues.

Aristote et son disciple Théophraste, par exemple, classaient les plantes selon qu’il s’agissait d’herbes, de sous-arbrisseaux, d’arbrisseaux ou d’arbres.

Ces systèmes, simples et accessibles à tous, furent jugés insuffisants par les savants de la Renaissance.

Ils exigeaient plus de rigueur !

Au 18e siècle, l’Europe adopte le système de classification des animaux et des plantes de Carl von Linné, un naturaliste suédois, consistant à classer les plantes uniquement selon leurs organes sexuels : plantes à une, deux, trois, quatre graines ou plus, mâles, femelles ou hermaphrodites.

Linné décide de donner à chaque plante un nom et un adjectif en latin, pour remplacer tous les noms donnés dans les différentes langues, considérés comme non scientifiques. La pâquerette devient « Bellis perennis », et soudain le paysan et l’homme du commun se sentent idiots et commencent à se considérer comme dépassés (c’était sans doute l’effet recherché).

D’autres classifications plus compliquées seront inventées, comme celle d’Antoine-Laurent Jussieu qui crée trois grands groupes – les monocotylédones, les dicotylédones et les acotylédones –, ou le Français Michel Adanson qui classe les plantes en essayant de tenir compte du plus grand nombre de caractères observables.

Mais toutes ces classifications seront totalement remises en cause au 20e siècle, où l’on décide de classer les plantes selon leurs ancêtres communs, sans se préoccuper de savoir le moins du monde si les plantes se ressemblent ou non. Or plus les techniques avancent (biologie moléculaire, séquençage des gènes, amplification par réaction de polymérisation en chaîne), plus on s’aperçoit que des plantes qui n’ont en apparence rien à voir sont, en réalité, cousines.

Car l’aubergine et la pomme de terre, par exemple, sont de la même famille, comme la gentiane et le chou, la rose et le géranium…

Foire d’empoigne entre botanistes

De violentes batailles opposent d’ailleurs les chercheurs car, bien entendu, dresser l’arbre généalogique des espèces végétales pose des questions inextricables, des problèmes plus obscurs que les plus sombres querelles théologiques.

L’histoire des plantes dure depuis des milliards d’années. Des dizaines de millions d’espèces sont apparues, se sont croisées, ont disparu, puis réapparu sous de nouvelles formes, au gré des climats, des époques et des hybridations sauvages.

L’arbre qu’on appelle communément « acacia » n’est ainsi plus considéré comme un acacia par les botanistes, qui ont compris depuis longtemps que ce nom revenait en fait au… mimosa.

Dans les jardineries, l’acacia est donc vendu sous le nom de « faux acacia » (Robinia pseudoacacia), bien que correspondant à ce que tout le monde considère comme… un vrai acacia.

Les meilleurs savants s’y perdent

Si vous n’y comprenez rien, rassurez-vous, les meilleurs savants s’y perdent aussi.

Les connaissances botaniques ne sont plus aujourd’hui des connaissances vivantes, dans l’esprit d’un sympathique naturaliste ventru se promenant avec son filet à papillons, son canif, sa loupe et sa besace, à la Gerald Durrell, mais des bases de données de séquençages d’ADN sur des serveurs informatiques.

Et c’est là que je voudrais vous proposer une tout autre approche.

Et si on oubliait les ambitions gigantesques de nos modernes scientifiques ? Et si on éteignait l’ordinateur ? Et si on se souvenait que nous sommes des hommes avec des yeux, des narines, des doigts, une bouche et, surtout, une âme capable de comprendre et de communiquer ?

Revenir au contact vrai avec la Nature

Quittons la course folle à celui qui aura créé le système le plus complet, le plus total de classification des plantes. Revenons à la poésie de la Nature, qui est, après tout, le plus beau trésor qu’elle nous offre et que nous ne découvrirons jamais si nous continuons à chercher la vérité dans des séquençages d’ADN.

Osons rencontrer une plante.

Nous présenter à elle.

Lui parler, non pour nous mettre en avant mais, par politesse, pour « casser la glace », comme on dit, et lui offrir l’occasion, si elle le souhaite, d’engager la conversation et peut-être de se lier d’amitié avec nous.

Puis, si elle se laisse faire, essayons de mieux la connaître. Souvenons-nous que les naturalistes autrefois observaient les plantes avec bonté, avec amour, au point de leur attribuer des qualités féminines.

Vous avez une histoire commune avec cette plante ; partagez-la avec elle !

Cette plante, comme vous, a des ancêtres. Et un de ses ancêtres a peut-être nourri, sauvé, l’un des vôtres, et explique que vous soyez là aujourd’hui pour la rencontrer.

Vous avez une histoire commune. De même, l’air qu’elle respire, l’eau qu’elle boit, le soleil qui la réchauffe, vous les partagez avec elle. Il se peut qu’une goutte d’eau ou une molécule de dioxyde de carbone qui l’ont nourrie soient également passées dans votre corps.

Les Amérindiens considèrent que leurs ancêtres sont présents dans le paysage naturel, chuchotant leurs conseils dans le vent ou partageant des réflexions à travers des fleurs sauvages. Quand ils rencontrent une fleur, ils ne la désignent pas par un nom scientifique, ils essayent de l’écouter.

Les plantes, elles aussi, connaissent des tragédies

Les plantes, comme tous les êtres vivants, vivent la tragédie de l’existence : la naissance, la croissance, la reproduction, mais aussi la maladie, le froid, la soif, les blessures, la vieillesse, la mort.

Qui s’inquiète de leurs souffrances, de leur mort ? Qui compatit ?

Dans un bureau où j’étais de passage, je voyais cette plante. Des dizaines de personnes étaient autour, et assistaient dans l’indifférence totale à sa lente et cruelle agonie :

Malgré ses bras suppliants, ses cris silencieux, personne pour lui donner le moindre verre d’eau.

Depuis des semaines, des employés de bureau la côtoyaient dans une indifférence absolue.

J’ai eu peur en voyant cela. Quelle différence, au fond, entre laisser « crever » une si belle plante, sans faire le moindre geste de compréhension ou d’amitié, et laisser crever un animal ?

Je me suis approché de la plante et je lui ai parlé. Je me suis excusé. Comme on met de l’eau sur les lèvres d’un mourant pour les humecter, je lui ai apporté un verre d’eau fraîche. Pas plus, car j’ai senti que, dans l’état où elle était, cela aurait pu lui faire du mal.

Je n’ai pas cherché à savoir si c’était un Spathiphyllum floribundum ou un Spathiphyllum patulinervum.

Mais je me suis assis à côté d’elle et je lui ai parlé de ma vie, de mes épreuves, de mes douleurs. Et elle m’a répondu, tendrement, tristement. Manifestement, elle me comprenait !

À votre santé !

Jean-Marc Dupuis

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