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Être heureux ou malheureux à l’hôpital

 « Bip, bip, biiiiiiipp !!!»

Il est 1 h 10 du matin. Pour la troisième fois cette nuit, ma perfusion s’est bloquée.

Le tuyau s’est plié dans le mauvais sens et la machine s’affole.

Dès mon arrivée à l’hôpital, on m’a percé le dos de la main et enfoncé dans la veine un tuyau en plastique. « Au cas où il faudrait, en urgence, vous administrer un médicament. »

« Au cas où… » C’est l’argument définitif. Ce tuyau va donc m’accompagner partout pendant mon séjour, compliquant la toilette, les déplacements, les repas, l’habillement, et perturbant surtout mon sommeil. « Au cas où… »

Mais pour l’instant, cette perfusion est inutile. De l’eau, du glucose et un peu de sel, alors que je peux boire et manger normalement, et n’ai aucun problème d’hydratation.

Des pas claquent dans le couloir. La porte s’ouvre. L’infirmière de service allume les néons qui grésillent, et la chambre s’illumine comme en plein jour. « Tout va bien, Monsieur ? », claironne-t-elle. Elle appuie sur un bouton qui stoppe la sonnerie, et repart.

Maurice, mon voisin de chambre, ne réagit pas. Dort-il ? Il a l’air habitué. Sa perfusion sonne, elle aussi, toutes les 5 heures environ, quand la poche du réservoir est vide. Même sonnerie, mêmes néons qui s’allument, même aller-retour précipité de l’infirmière.

Je transpire. Je n’ai pourtant qu’un petit drap et cette chemise de nuit qui ressemble à un tablier. À travers les persiennes qui ferment mal, clignote la lumière bleue d’un gyrophare : les pompiers. J’imagine le grand blessé de la route qui arrive à cette heure-ci, garrotté dans une civière. Je pense à son conjoint, à ses parents, à ses enfants, à ses frères ou sœurs… Ces vies qui ont basculé cette nuit.

Ça y est, mon esprit tourne comme en plein jour. J’ai les yeux grands ouverts. La chambre est d’ailleurs bien éclairée par les diodes de la télévision, des appareils électriques, et la lumière allumée en grand dans le couloir.

Je ferme les paupières. M’apparaissent tous les malades, les blessés, qui essayent de dormir, cette nuit, dans cet hôpital, et dans tous les hôpitaux du monde.

Ce troupeau immense coupé de la société. Ceux que tout le monde a oubliés. Ceux qui y sont depuis des mois, des années, seuls avec leur souffrance. Ceux qui n’ont aucun espoir d’en ressortir.

« Vous qui entrez ici, abandonnez toute espérance. » Me reviennent ces mots de L’Enfer de Dante.

Qui, parmi tous ces malades qui sont avec moi, souffre le plus ?

Ceux qui sont en phase terminale ?

Peut-être pas, ils sont souvent abrutis par la morphine, et se disent que la fin est proche

Ceux qui savent qu’ils en ont encore pour de longs mois ou années ? Oui, cela me paraît pire.

Sans oublier :

  • Ceux qui sont seuls, abandonnés de tous…
  • Ceux qui avaient de grosses responsabilités, qui ont du tout laisser en plan à cause de leur hospitalisation ;
  • Ceux qui sont poursuivis par les remords, et pour qui il est trop tard maintenant pour réparer.

Encore une fois, je pense à L’Enfer de Dante.

Ce livre a été écrit il y a plus de 700 ans, en Italie. C’est un très long poème considéré comme le plus grand chef-d’œuvre de la littérature mondiale, en rivalité seulement avec l’Iliade et l’Odyssée de Homère.

Dante est si admiré qu’on trouve des statues de lui dans le monde entier. Par exemple, celle-ci, qui se trouve à New York :

Le poète italien Dante Alighieri, qui a vécu il y a 750 ans, continue d’être vénéré dans le monde entier tant son œuvre, La Divine Comédie, a éclairé l’Humanité sur le sens de la vie.

Alors, qu’y a-t-il de si incroyable dans ce livre surgi du Moyen-Âge ? Comment se fait-il qu’on s’y intéresse encore à l’âge d’Internet, des manipulations génétiques et de la conquête spatiale ?

C’est que ce livre raconte le voyage imaginaire du narrateur qui se perd dans une forêt obscure. Là, il rencontre Virgile (un poète latin), qui l’emmène visiter l’enfer.

Mais il ne s’agit pas d’un enfer imaginaire peuplé de diablotins.

C’est une description scientifiquement et psychologiquement très exacte de nos vies, sur Terre, lorsqu’elles se transforment en quelque chose ressemblant à l’enfer : enfer de la violence, enfer de la haine, enfer de la solitude, enfer de la guerre, enfer de la tromperie, etc.

Dante analyse toutes les façons qu’il y a de souffrir, et il les classe. Il définit ainsi neuf cercles, par ordre de gravité dans la souffrance.

Ainsi, par exemple, dans le deuxième cercle, on trouve les personnes qui se sont laissées entraîner par leur passion amoureuse, et qui en souffrent.

On y rencontre Cléopâtre, dont on sait que les amours avec César et le général romain Antoine lui ont causé beaucoup de souffrances, jusqu’à la pousser au suicide en se faisant piquer exprès par une vipère à la poitrine. On y trouve aussi Pâris et Hélène, dont l’attirance réciproque déclencha une catastrophe : la guerre de Troie. Hélène finira étouffée dans son bain et son cadavre suspendu à un arbre. Pâris, son amant, sera massacré. Sa ville, Troie, sera rasée.

Dans le cercle n° 3, un peu plus douloureux donc, on trouve les personnes à qui des malheurs sont arrivés à cause de leur gourmandise et de leur goût excessif pour la boisson. On trouve dans ce cercle Cerbère, à qui il arriva des malheurs parce qu’il ne mangeait que de la viande vivante, et qui se fit piéger plusieurs fois par des gâteaux au miel contenant des drogues.

Et ainsi de suite… Dante passe en revue les catastrophes, les malheurs, la souffrance que les hommes éprouvent parce qu’ils ont dépensé tout leur argent par étourderie (cercle n° 4), parce qu’ils se sont mis en colère et se sont pourri la vie par la rancune (cercle n° 5).

Leurs vies sont de plus en plus insupportables au fur et à mesure que l’on passe les cercles.

Dans le cercle n° 7, ce sont les auteurs de crimes de sang. Attila, Alexandre le Grand et le tyran Denys de Syracuse, qui ont massacré physiquement des millions de personnes lors de leurs conquêtes inutiles. Adolf Hitler serait probablement dans ce cercle. Ils vivent dans des mondes de cris, de sang, de violence, de cadavres, qui paraissent vraiment horribles.

Dans le cercle n°8, ce sont les menteurs, les fraudeurs, les voleurs, tous ceux qui profitent de la bienveillance des autres. Dans le cercle n°9 enfin, ce sont les traîtres, comme Brutus (qui tua César qui, pourtant, l’avait adopté), Judas et Lucifer lui-même. Ce sont ces personnes à qui vous tendez la main pour les tirer hors de l’eau, et qui vous l’attrapent pour vous tirer et vous noyer avec elles.

Ces réflexions sur les différents types de souffrances ont inspiré énormément d’artistes, qui ont essayé de peindre des scènes de l’Enfer de Dante. Vous trouvez, par exemple, ce tableau dans le grand hall du musée d’Orsay à Paris. On voit Dante lui-même à gauche en rouge, avec Virgile (qui porte des lauriers), contemplant un homme enragé qui mord l’autre à la gorge.


Mais comprenons bien ce que signifie l’Enfer de Dante. Ces personnes qui souffrent dans les différents cercles de l’Enfer, elles ne représentent pas que les autres, les « méchants ». Elles nous représentent nous-mêmes, dans les différents aspects de nos vies.

Dante n’a pas mis, dans son « Enfer », les souffrances causées par les maladies ni les accidents.

Il n’a mis que les souffrances que nous provoquons, volontairement, dans notre vie et dans celle des autres. Comme si c’était cela, en fait, le pire qui pouvait nous arriver.

C’est en pensant à cela que j’ai fermé les yeux. Cela m’a paru très profond.

À votre santé !

Jean-Marc Dupuis

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