Acharnement contre la vitamine D : quelle mouche les pique ?
Une fois de plus, les sites d’informations crépitent de mises en garde contre les risques de la vitamine D.
Le changement de ton aura donc été de très courte durée.
Mais quelle mouche les pique ?
Quelle mouche les pique ?
Cette fois, il s’agit d’une “alerte” lancée lundi 1er février dans le journal La Voix du Nord par deux médecins, le rhumatologue Bernard Cortet, et le Dr Julien Tison du Centre anti-poison du CHU de Lille :
« Depuis quelques jours, le Centre anti-poison du CHU de Lille reçoit des appels à cause du surdosage en vitamine D », disent-ils. [1]
Ils évoquent des surdosages toxiques aux risques multiples : « nausées, fatigue, risques osseux, convulsions, voire coma », appellent à la vigilance et signalent que « des produits disponibles sur Internet peuvent être très dangereux ».
Ce matin, France-Info relayait l’affaire : “Covid-19 : n’abusez pas de la vitamine D, son surdosage est dangereux pour la santé.” [2]
Mais le récit, déjà, n’est plus exactement le même. Cette fois, il est expliqué que :
“les centres antipoisons et l’Agence du médicament ont constaté récemment des surdosages de vitamine D chez des enfants qui en prenaient pour favoriser leur croissance osseuse et diminuer les risques de rachitisme.”
Les enfants atteints de rachitisme ? Mais alors ce n’est plus du tout pareil !!
Et il y a une autre chose qui change : la cause des ces surdosages n’est plus les “produits disponibles sur Internet”, comme l’annonçait la Voix du Nord, mais :
“des gommes, des pastilles à mâcher ou des gouttes qui contiennent une très grande quantité de vitamine D, des compléments alimentaires qui sont trois à quatre fois, voire dix fois plus dosés que les médicaments que l’on administre habituellement à un enfant.”
Ils citent le Dr Christine Tournoud qui explique que :
“le risque apparaît sur une exposition chronique : si vous donnez une ou deux gouttes par jour et que vous donnez un peu plus à chaque fois, on peut avoir des complications.«
Si vous arrêtez là votre lecture et votre réflexion, c’est clair, il faut fuir la vitamine D. C’est ce qu’en déduiront probablement 99 % des lecteurs. Peut-être même 99,9 % !
Dès qu’on gratte un peu, on trouve plus de trous dans ces articles que dans le gruyère (français)
Mais dès qu’on gratte un peu, on s’aperçoit que ces articles ressemblent à des gruyères (français) tant ils sont troués de partout !!
Vous pouvez les lire et les relire, vous ne trouverez :
- aucune indication, même très vague, du nombre d’intoxications à la vitamine D ces derniers mois : 5, 50, 500, 5000 ?? Ils ne donnent pas le moindre indice. Pourquoi ?
- ils ne donnent pas non plus le nombre de cas graves et le nombre de cas bénins ;
- ils mettent en garde contre des produits “très dangereux” vendus sur Internet. C’est important de le savoir. Mais lesquels ? qui ? Sur quels sites ? Mystère et boule de gomme. Ils ne citent aucun nom, aucune marque, et nous laissent dans le flou total.
- De même, on ne saura pas, même vaguement, comment se prémunir contre le risque de surdosage. Quelle est la dose normale, acceptable, à partir de quelle quantité se met-on en danger ? Comment se protéger ? Toujours rien. Silence radio.
- On apprend que des compléments alimentaires et produits en vente libre contiendraient jusqu’à 10 fois la dose de la vitamine D prescrite sous forme de médicaments par les médecins, ce qui est rigoureusement interdit par la loi. Un tel produit serait un poison. Que fait la police ? Pourquoi n’arrête-t-on pas les trafiquants qui cherchent ainsi à intoxiquer la population ? Qui sont-ils ? Pourquoi font-ils cela ? D’où vient d’ailleurs cette “information” ? A-t-elle été vérifiée avant d’être diffusée au grand public et de semer le trouble dans les esprits ? (je n’ai, pour ma part, jamais entendu parler de ces produits et une recherche sur Internet ne m’a donné aucun résultat).
- Sur France-Info, le Dr Christine Tournoud explique que : “si vous donnez une ou deux gouttes par jour et que vous donnez un peu plus à chaque fois, on peut avoir des complications. » D’accord. Mais quel est le produit dont on peut augmenter la dose tous les jours sans jamais avoir de problème ? “Tout est poison, rien n’est poison, seule la dose fait le poison”, disait Paracelse. De plus cette phrase est incompréhensible. Soit on donne une ou deux gouttes par jour, soit on en donne un peu plus à chaque fois. On ne peut pas faire l’un et l’autre en même temps !!
L’information médicale dans la presse française n’est pas toujours de première qualité. Mais là, c’est un chef-d’œuvre de lacunes et de confusion.
Les risques réels d’intoxication à la Vitamine D
Dans la littérature scientifique, on trouve des cas d’intoxication à la vitamine D.
C’est, par exemple, le cas de cette dame en 2013 qui s’est fait prescrire une mégadose unique de 300 000 UI de vitamine D à cause d’une carence sévère. Mais, pour des raisons jamais élucidées, la malheureuse est retournée à la pharmacie la semaine suivante qui lui a donné… dix mégadoses, de 300 000 chacune ! [3]
Cette pauvre dame, on ignore comment et pourquoi, a commencé à prendre une mégadose de 300 000 UI par jour ! (Les apports journaliers recommandés officiellement en France sont de 200 UI… soit 1500 fois moins)
Au bout de neuf jours, elle ressent des nausées, de la fatigue intense, des vertiges avec l’impression qu’elle va s’évanouir. Elle consulte son médecin en urgence qui constate alors la méprise et lui indique d’arrêter (évidemment). La dame se remettra peu à peu de sa mésaventure.
Combien de vitamine D par jour, alors ?
Il existe un débat entre les autorités sanitaires qui recommandent 200 UI par jour, et des spécialistes, très nombreux, qui recommandent plutôt 1500, 2000 voire 4000 UI par jour au plus profond de l’hiver, pour les personnes âgées qui souffrent de malabsorption intestinales et ne mettent jamais le nez dehors.
L’Académie Nationale de Médecine, par exemple, affirme que les besoins quotidiens en vitamine D doivent être réévalués à 1000 UI par jour, soit 5 fois plus que ceux préconisés par l’ANSES (agence nationale de santé et nutrition).
En réalité, pour être précis, il faudrait se faire mesurer par prise de sang le taux sérique de vitamine D dans le sang, qu’on appelle le 25-OH-D, et viser un taux entre 50 ng/mL et 75 ng/mL. C’est ainsi que vous ajustez vos doses de supplémentation. La plupart des Français ont un taux qui tourne autour de 15 ng/mL, ce qui est déficitaire et proche de la carence. Pour atteindre 50 ng/mL, prendre 3000 ou 4000 Ui par jour pendant plusieurs semaines ou mois sera sans doute nécessaire. Mais c’est impossible de faire des généralités car chacun a son propre taux d’absorption. Il faut donc surveiller son taux par prise de sang.
Si la fourchette paraît très grande entre 200 et 4000 UI par jour, les experts s’accordent pour dire qu’il n’y a pas d’effet indésirable à ces doses.
Le principal danger de l’excès de vitamine D, qui est l’hypercalcémie, ou une hypercalciurie, n’apparaît pas avant des doses de 10 000 UI/jour prises pendant des mois. C’est cela qui déclenche les effets indésirables dont il est question chez des gens qui, par erreur, ont pris des doses médicales très importantes de vitamine D de façon répétée sur de courtes périodes.
En l’occurrence, la patiente citée ci-dessus a reçu presque 3 millions d’unités sur dix jours au lieu des 6000 unités recommandées sur une telle période !
De tels accidents sont très improbables. Déconseiller la vitamine D dans ces conditions, c’est comme mettre en garde contre la ceinture de sécurité en voiture, sous prétexte qu’on peut s’étrangler en l’enroulant autour de son cou. Pourquoi affoler les populations pour cela ? Je n’en sais rien. Cela semble être un sport national, ou même international en ce moment.
Tout le monde est à cran, tout le monde stresse… On confond tout, on devient incapable de mettre en rapport les avantages et les risques des décisions.
Espérons que cela se calme bientôt car l’atmosphère devient irrespirable. Rappelons que la vitamine D est une substance naturelle, semblable à une hormone qui intervient dans plus de 300 fonctions métaboliques.
En plus de son effet possible contre la Covid, des études d’observation ont constaté une diminution du risque de cancer et de maladies cardiovasculaires à partir de 33 ng/mL de vitamine D (25-OH-D) dans le sang.
Dans la mesure où la grande majorité des Français sont bien en-dessous de ce taux, diffuser des messages pour mettre en garde contre l’excès de vitamine D ne me paraît pas d’actualité, surtout si c’est pour jeter le discrédit sur la vitamine D sans donner de précisions utiles.
A votre santé !
Jean-Marc Dupuis
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