Comment et pourquoi la guillotine a été installée sur la place de la Concorde
Quand j’étais petit, et malgré les efforts de mes professeurs, je n’ai jamais compris comment la Révolution, qui partait avec de si bon sentiments (Liberté, Egalité, Fraternité), avait pu tourner au bain de sang avec la Terreur, les charrettes de condamnés à mort, l’échafaud, les têtes qui roulaient, etc.
“- C’est la faute des nobles et des curés qui ne voulaient pas faire d’efforts”, m’avait dit mon institutrice de CM2.
“- C’est à cause de Saint-Just et de Robespierre, l’Incorruptible”, m’avait assuré mon professeur d’histoire en 5e.
“- Heureusement, Napoléon est venu et il a mis fin à tout ça”, m’avait-on expliqué en Seconde.
Plutôt bon élève, j’avais appris par cœur, passé mon bac et je me suis retrouvé à l’âge adulte… en n’ayant toujours rien compris, finalement, à ce qui s’était passé.
Pourquoi ne s’était-on pas contenté de prendre la Bastille et d’instaurer la démocratie et les Droits de l’Homme ?
Un livre introuvable, qui explique tout
Ce n’est que dix ans plus tard environ que je suis tombé sur un petit livre écrit par un Professeur d’histoire américain, ambassadeur en Allemagne, au beau milieu de la grande crise des années 1930 :
Ce livre est introuvable. Personne ne se souvient même du nom de son auteur, Andrew Dickson White. C’est pourtant un joyau, qui explique tout ce qui s’est passé.
Des bienfaiteurs de l’humanité l’ont mis en accès gratuit sur Internet et vous pouvez le consulter ici : https://cdn.mises.org/Fiat%20Money%20Inflation%20in%20France_2.pdf, mais il n’est disponible qu’en anglais.
Je vais vous le résumer en quelques lignes, car l’explication est limpide.
Tout a commencé parce que les caisses de l’Etat étaient vides
En 1789, quand éclate la Révolution Française, les caisses de l’Etat sont vides.
C’est d’ailleurs la raison principale de la révolte. L’armée, qui n’est plus payée, ou trop mal payée cesse d’obéir. Le Roi n’arrive plus à collecter assez d’impôts pour financer toutes ses dépenses, surtout que les récoltes ont été mauvaises. C’est une révolte classique. Un putsch militaire, dirait-on aujourd’hui.
Imaginez ce qui se passerait aujourd’hui si les fonctionnaires (dont les policiers, les militaires) ne touchaient plus que la moitié, ou le quart, de leur paye…
Bref, Louis XVI n’arrivait plus à payer ses soldats et donc ils ont cessé de lui obéir, de le défendre. Ils ne se sont pas opposés à ce que de nouveaux gouvernants le remplacent et prennent la direction du pays.
Mais au lieu d’instaurer une sanglante dictature pour remplir coûte que coûte les caisses, comme cela s’était toujours fait après une faillite, le nouveau gouvernement usa d’un autre stratagème.
Un habile stratagème pour éviter d’augmenter les impôts
Les nouveaux gouvernants avaient pris le pouvoir en promettant au peuple “l’abolition des privilèges”, la fin des impôts et taxes injustes (la gabelle, la dîme).
Il n’était donc pas question de faire pire que le Roi, en augmentant encore des impôts écrasants.
Il fallait bien, pourtant, payer les soldats, sans quoi il allait vite leur arriver la même chose qu’à Louis XVI.
Ils décidèrent de recourir à une ruse : payer les soldats en “assignats”.
Les assignats étaient des certificats en papier, soi-disant “garantis” sur les biens de l’Eglise que l’on venait de confisquer. Autrement dit, le nouveau Gouvernement payait ses soldats avec des papiers en prétendant qu’ils pouvaient venir les échanger à tout moment contre une propriété de l’Eglise, qui venait d’être réquisitionnée par l’Etat : un champ, une vache, une poule, un morceau d’abbaye, une église, une chapelle (qui peuvent toujours servir de grange).
Au début, les soldats y croient. Ils prennent les assignats, et essayent de s’en servir pour acheter des choses (pain, vin, habits, tabac…). Merveille, la sauce prend, les commerçants acceptent cette nouvelle “monnaie” !!
La sauce prend
L’affaire fonctionne si bien que le Gouvernement décide d’imprimer de nouveaux assignats, pour recruter des soldats supplémentaires.
Il doit en effet se battre contre les armées étrangères qui attaquent la France. La Guerre de 1792 (la fameuse bataille de Valmy) fut ainsi totalement financée par les Assignats.
Mais les soldats commencent à s’apercevoir que les commerçants deviennent de plus en plus exigeants, et demandent de plus en plus d’assignats pour une même quantité de pain (ou de vin, ou autre).
C’est que le Gouvernement, qui avait commencé par créer des Assignats pour 120 millions de livres seulement, en est déjà à près d’un milliard, soit huit fois plus !
Certains commerçants se doutent alors qu’il y a beaucoup trop d’assignats en circulation par rapport aux biens de l’Eglise sur lesquels ils sont gagés, qui ne représentaient que 400 millions. Ils commencent à les refuser carrément et exigent d’être payés en or ou en argent.
Et voilà nos pauvres soldats revenus à la case départ : comme sous l’Ancien Régime, ils ne parviennent plus à se nourrir et menacent de se révolter !
Les gouvernants trouvent une nouvelle entourloupe, et élargissent la peine de mort
“Pas de problème !”, s’écrient les gouvernants. “Nous allons faire passer une loi pour interdire aux commerçants d’augmenter les prix, et les obliger à accepter les Assignats, sous peine d’amende.”
Satisfaits, les soldats repartent faire leurs emplettes.
Mais comme tous arrivent avec les poches remplies d’assignats, ils ont vite fait de vider les boutiques du boulanger, du boucher, du cordonnier. Les rayons sont aussi vides que ceux de papier-toilettes et de pâtes dans nos supermarchés !
Les soldats sont à nouveau mécontents !
-”Pas de problème !”, s’écrient les gouvernants. “Nous allons obliger les commerçants à fournir de la nourriture ! Boulangers et bouchers devront désormais vendre toutes leurs réserves de viande et de pain au prix fixé sous peine de mort !”
Ce fut la loi contre les “accapareurs”, qui n’étaient au fond que des gens qui réalisaient que, s’ils échangeaient leurs stocks de nourriture contre des Assignats sans valeur, ce serait leur tour de mourir de faim prochainement.
Je n’exagère pas. C’est exactement ce qui s’est passé.
La répression s’aggrave
Bien entendu, la mesure fut totalement inefficace, et il fallut étendre les mesures répressives contre toutes les personnes ayant constitué des stocks de nourriture, ou essayant de recourir au marché noir, ce qui représentait la plus grande partie de la population des villes puisqu’il n’y avait plus moyen de se procurer à manger autrement.
C’est ainsi que la Police se mit à arrêter toutes sortes de “coupables”. En quelques jours, les prisons furent pleines, il fallut accélérer les procédures, et dresser des guillotines en place publique. Furent décapitées environ 14 000 personnes, plus les 40 000 qui furent assassinées sans procès par la foule.
Le commerce au juste prix étant interdit, les commerçants furent obligés d’arrêter de s’approvisionner dans les campagnes puisqu’ils n’avaient plus d’or ni d’argent, désormais interdits (sous peine de mort également). Les paysans refusaient les Assignats sans valeur, mais ils ne pouvaient plus vendre leur blé ni leur lait ni leur viande autrement. Ils n’eurent pas d’autre choix que de s’arrêter de labourer, ou de nourrir leur bétail, ce qui entraîna un effondrement de la production et de terribles famines.
Face aux émeutes de la faim dans les villes, les Autorités furent obligées d’augmenter toujours plus la répression contre les prétendus “traîtres à la Révolution” et autres “spéculateurs”, et de faire des réquisitions de nourriture dans les campagnes, avec toutes les violences que cela impliquait.
En 1796, pas moins de 30 milliards d’Assignats étaient en circulation, garantis par seulement un milliard de biens réels. En ruine, le Gouvernement, tenu à ce moment-là par les “Jacobins”, n’eut plus les moyens d’être obéi par les soldats et fut donc renversé (nouveau “putsch militaire”).
Bonaparte restaure la monnaie en or, avec le “Napoléon or” et met fin à la Révolution
Ce scénario se répéta jusqu’à ce que le général Bonaparte (un des “putschistes” !) supprime les Assignats et restaure en 1801 le “Napoléon or”, une pièce en tout point semblable à l’ancien “Louis d’or”, par son poids et sa teneur en or.
Il rendit obligatoire le paiement des soldats et des commerçants en or.
Ce n’est qu’alors que fut officiellement terminée la Révolution Française, et que la vie put reprendre son cours, après toutefois quinze ans d’aventures militaires ravageuses, mais cette fois dans le reste de l’Europe et non plus sur le territoire français.
Le rapport avec le coronavirus
La situation aujourd’hui me paraît présenter des ressemblances avec celle de la France de 1789.
Les caisses de l’Etat sont vides mais le Gouvernement doit faire face à une guerre.
Ce n’est plus Valmy, c’est le coronavirus, mais elle coûte aussi cher, et peut-être beaucoup plus car il a fallu bloquer une grande partie de l’économie mondiale.
Au lieu d’augmenter vigoureusement les impôts sur le secteur privé, et de diviser par deux ou par trois les allocations, le traitement des fonctionnaires, les retraites et les dépenses de l’Etat (ce qui produirait des soulèvements irrépressibles), le Gouvernement préfère financer cette guerre intégralement par l’émission de monnaie supplémentaire, par les banques centrales.
Il n’a pas le choix : toute autre approche déclencherait des émeutes.
La plupart des commerces étant interdits, les restaurants, les cantines, les aéroports étant fermés, les producteurs de nourriture jettent leurs stocks.
On reparle, comme pendant la crise des années 30, de jeter les surplus de lait, de nourriture, tandis que les files s’allongent devant les Restos du Cœur.
On parle d’abattre 1,5 million de volailles :
Le muguet du 1er mai lui-même n’est pas cueilli :
Les entrepôts de pétrole sont plein, au point de faire s’effondrer le prix du baril.
Si cela ne change quasiment rien pour le consommateur puisque les prix à la pompe restent élevés (85 % du prix provient des taxes), cette chute des cours pourrait précipiter la faillite de nombreux pays dépendants du pétrole comme l’Algérie, le Venezuela, le Nigeria ou même la Russie :
Tout cela nous concerne tous. Toutes ces personnes qui sont en train d’être ruinées vont cesser de contribuer, demain, aux dépenses collectives (donc de santé). Il faudra même sans doute leur donner des allocations.
Les entreprises qui font faillite, ou qui n’ont plus de clients, ne paieront plus d’impôts.
Aujourd’hui, comme dans les premiers temps qui ont suivi la Révolution Française, la monnaie semble conserver, en gros, sa valeur.
Certes, on parle d’une hausse de 10 % des fruits et légumes depuis le début de la crise, mais cela reste du domaine du supportable.
Mais que va-t-il se passer dans les mois ou années qui viennent ? Faut-il craindre une baisse catastrophique de l’euro, entraînant des problèmes comme au temps des Assignats ? Va-t-il y avoir des pénuries ? Des réquisitions ? Des tickets de rationnement pour les biens essentiels ?
C’est difficile à dire. On sait que cela pourrait arriver. Mais il faut voir que les moyens de contrôle de l’Etat sont beaucoup plus développés qu’avant.
Grâce à l’informatique, l’Etat n’a plus besoin de confisquer l’argent en envoyant des soldats. Il pousse sur un bouton et se sert sur les comptes en banque des citoyens. Il peut saisir leurs propriétés, qui sont dûment répertoriées dans chaque déclaration d’impôts.
Lorsqu’il prend des mesures répressives, les moyens de surveillance moderne (caméras, suivi de téléphones portables, drones) lui permettent d’identifier les contrevenants beaucoup plus vite. Les risques de désobéir étant gigantesques (vous avez 100 % de chance de vous faire attraper), il ne peut plus y avoir de réseaux de résistances, ou beaucoup moins.
Nous verrons, donc, ce que l’avenir nous réserve.
A votre santé !
Jean-Marc Dupuis
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