La chimiothérapie améliore-t-elle l’espérance de vie ?
Chère lectrice, cher lecteur,
Le journal Le Monde a publié un article le 24 mai intitulé « Oui, les traitements du cancer améliorent l’espérance de vie. Des rumeurs alarmistes affirment que la chimiothérapie serait inutile, voire dangereuse. Un constat démenti par les faits. Explications. » [1]
A la lecture, on s’aperçoit que c’est une attaque contre deux sites fantaisistes (mais très peu connus) qui publient des bêtises sur la chimio.
Mais le journal Le Monde ne fait pas beaucoup mieux.
Le journaliste (ou le groupe de journaliste, on ne sait pas, car l’article est signé sous un pseudonyme énigmatique : « Les Décodeurs »), explique que « le taux de survie aux principaux types de cancer a fortement augmenté en France ».
« Selon la spécialiste Dr Muriel Dahan, directrice des recommandations et du médicament à l’Institut national du cancer (INCa), « les progrès ont été fulgurants depuis les années 1990, on n’est plus du tout sur les mêmes traitements. »
Et de commenter :
« Les statistiques publiques étayent son constat. Ainsi, le taux de survie à cinq ans a sensiblement augmenté entre les années 1898-1993 et 2005-2010 pour les cinq types de cancers les plus courants en France ». Il s’agit du cancer de la prostate, du sein, colorectal, du poumon, et du mélanome cutané.
Le premier problème est que « les Décodeurs » se sont contentés d’interroger un seul expert et en l’occurrence une directrice de l’Institut national du Cancer (INCa), l’organisme chargé en France de lutter contre le cancer.
Cette personne, dont les compétences ne sauraient être remises en cause, ne peut en aucun cas être présentée comme un expert objectif. Elle est « directrice des recommandations et du médicament » à l’INCa. Lui demander si les traitements sont bons, c’est comme lui demander si elle sert à quelque chose. Si j’étais méchant, je dirais que c’est comme demander au directeur technique de Volkswagen si on peut faire confiance dans ses moteurs diesel.
Bon, je me moque un peu, bien sûr. Mais tout de même : l’INCa est un organisme public. Il vit de financements publics. Pensez-vous qu’un de ses représentants pourrait déclarer : « Oui, en effet, les traitements du cancer piétinent, il y a de plus en plus de morts, nous n’avons pas la moindre idée de ce qui se passe ni aucune solution crédible à proposer ? »
Ce serait hara-kiri. Il se ferait huer par leurs collègues, chasser par sa hiérarchie !
On ne peut donc pas reprocher au Dr Muriel Dahan d’affirmer que les progrès de la médecine conventionnelle sont « fulgurants » contre le cancer.
Mais on peut reprocher aux journalistes « Les Décodeurs » de reprendre telles quelles ces affirmations, sans les confronter à celles d’un expert indépendant.
La vérité sur les chiffres du cancer
Le journaliste commence l’article en laissant entendre que la chimiothérapie augmente « l’espérance de vie ».
En réalité, on s’aperçoit qu’il confond avec le « taux de survie à cinq ans qui augmente ».
A première vue, cela semble être la même chose.
Mais en fait, pas du tout.
Il est possible que la hausse du « taux de survie à cinq ans », qui est réelle, soit simplement due à la généralisation du dépistage.
Ainsi, bien avant d’avoir des symptômes, ils sont conscients de l’existence de leur cancer grâce aux puissants appareils de mammographie, coloscopie et scanner, qui permettent de repérer aujourd’hui des cancers d’une taille minuscule.
Mais cela ne prouve pas que leur espérance de vie en soit augmentée.
Il est bien connu que la généralisation du dépistage (sein, prostate, colon, peau) avec les grandes campagnes de sensibilisation, font qu’on détecte aujourd’hui beaucoup plus de cancers qui n’auraient jamais évolué, ou alors qui auraient évolué si lentement que les patients seraient décédés d’une autre cause, entre temps.
C’est ce qu’on appelle le « surdiagnostic », et c’est un sujet qui inquiète les experts.
Ces campagnes de dépistages ayant été mises en place massivement depuis les années 90, il est tout à fait normal que le « taux de survie à cinq ans » ait augmenté.
De plus, il se pourrait que les bouleversements des modes de vie et la pollution fassent que l’on attrape aujourd’hui le cancer plus jeune. Les personnes plus jeunes étant plus résistantes, et ayant moins de risque de mourir entre temps d’une autre cause (par exemple de vieillesse !), il est tout-à-fait possible que le taux global de survie à 5 ans augmente, sans que cela n’indique en rien un progrès de la chimiothérapie pour l’espérance de vie globale.
Je milite donc contre toute simplification à outrance du sujet du cancer.
En particulier, le débat sur la chimiothérapie ne doit pas être confisqué. Ce n’est pas parce que certains sites peu sérieux publient des canulars sur la chimiothérapie, qu’il faut pour autant décréter, comme le fait un peu le journal Le Monde, et sans arguments scientifiques solides, que le débat est tranché à ce sujet.
Si vous souhaitez en savoir plus sur les traitements du cancer, je vous invite à continuer votre lecture :
Différents cancers, différents traitements
Le cancer est une maladie provoquée par la multiplication anarchique de cellules.
Leur nombre croit de façon exponentielle jusqu’à envahir un organe ou l’organisme tout entier, et ainsi entraîner la mort.
Cette définition générale recouvre toutefois des réalités très différentes, selon le type de cellules qui se reproduisent.
Globalement, l’idée importante à comprendre est que, dans le sillage des progrès contre la leucémie qui ont été faits entre 1947 et 1971 (premières victoires thérapeutiques contre la leucémie de l’enfant, autrefois mortelle à 99 % et aujourd’hui soignée dans 95 % des cas), d’importants progrès ont été réalisés contre les cancers « liquides », où il y a prolifération d’un certain type cellules immunitaires (du sang ou de la lymphe) qui se multiplient dans l’organisme sans former de tumeur car elles circulent.
Ces cancers « liquides » sont vulnérables aux produits chimiques et sont très bien traités aujourd’hui : leucémie, lymphome de Hodgkin et lymphome non-Hodgkinien, et myélome.
En revanche, pour les cancers formant des tumeurs solides, les progrès sont limités ou inexistants, à l’exception de quatre cas particuliers : l’ostéosarcome (cancer primaire des os), le cancer du testicule (1 % des cas de cancer) vaincu dans les années 70 à 80 % grâce aux sels de platine ; le cancer du placenta (choriocarcinome, vaincu grâce à un antibiotique, l’actinomycine C), et enfin surtout le mélanome malin (cancer de la peau) : c’est un cancer qui a la particularité d’être visible.
Plus souvent diagnostiqué à un stade précoce car les gens sont beaucoup plus sensibilisés qu’avant à ce problème et consultent facilement les dermatologues, il est aujourd’hui en général retiré chirurgicalement avant d’avoir fait des métastases ; on dispose de plus aujourd’hui d’un nouveau traitement, l’immunothérapie, qui guérit beaucoup de cas de mélanome malin avancé.
La plupart des tumeurs solides se développent dans des tissus ou organes exposés au monde extérieur, comme les poumons, la peau, le larynx (gorge), l’estomac, le colon.
Ces tissus sont robustes et comportent des mécanismes pour éliminer les toxines auxquels ils sont naturellement exposés.
Mais cette résistance les rend aussi très peu sensibles aux médicaments cytotoxiques (chimiothérapie).
C’est pourquoi ces cancers sont prioritairement traités par la chirurgie : on retire la tumeur en la découpant au bistouri, en essayant d’enlever tous les tissus aux alentours qui pourraient déjà comporter des cellules cancéreuses.
Le traitement peut être complété par une radiothérapie, c’est-à-dire irradier avec des rayons ionisants la zone proche en espérant détruire les cellules cancéreuses résiduelles. La chimiothérapie n’est pratiquée qu’en troisième ligne.
La résistance des cancers solides à la chimiothérapie peut aussi s’expliquer par leur situation, au sein d’un organe bien protégé : le cancer du pancréas, le plus mortel d’entre tous, est particulièrement difficile à attaquer car le pancréas est un organe dur, largement imperméable, difficile à opérer.
Les médicaments cytoxiques avalés par le malade ou qu’on lui injecte ne rejoignent tout simplement pas les zones où se trouvent les cellules cancéreuses. Elles sont éliminées avant.
Il en va de même des tumeurs au cerveau, qui sont protégées par la barrière sang-cerveau (barrière hémato-encéphalique), qui est faite pour protéger le cerveau des toxines qui pourraient être dans le sang.
Cette barrière, évidemment, joue plus que jamais son rôle de protection en cas de présence de médicaments cytotoxiques dans le sang.
Les solutions consistent à injecter directement le médicament dans le cerveau, avec tous les risques que cela implique.
Mais pratiquer la radiothérapie ou opérer pour retirer la tumeur chirurgicalement est aussi très compliqué quand la tumeur se trouve au milieu du cerveau.
C’est pourquoi traiter les tumeurs au cerveau est si difficile.
Il faut savoir également que, contrairement à ce que laissent entendre l’article du Monde, les produits de chimiothérapie utilisés aujourd’hui ne sont pas fondamentalement différents de ceux que l’on a découvert dans les années 50.
Il n’y a eu aucune véritable révolution thérapeutique depuis la victoire sur la leucémie (1971).
Les récents anticorps monoclonaux restent des produits très ciblés, adaptés à des formes très particulières de cancer, qui ne modifient pas les statistiques globales de mortalité.
Dans tous les cas, les produits de chimiothérapie restent des produits qui « tuent les cellules ».
Ils tuent forcément les cellules saines autant que les cellules malades (parfois, ils tuent plus les cellules saines car les cellules malades peuvent développer une sorte d’armure).
Retrouver la santé après un cancer
J’ai régulièrement expliqué toutes les raisons qui font que les mesures de l’efficacité du traitement du cancer ne sont pas fiables.
La seule question qui intéresse vraiment le patient qui apprend qu’il a un cancer est : serai-je un jour à nouveau en bonne santé ?
Et vous remarquerez que c’est une question qui gêne tout le monde quand on la pose.
Aucun médecin ne voudra y répondre sans prendre mille précautions.
C’est normal.
D’abord parce que personne n’a de boule de cristal.
Mais aussi parce que la réponse honnête à cette question est malheureusement terrible. Je vais y répondre en m’appuyant sur des chiffres produits en 2015 par la fondation McMillan [2] pour le cancer, référence en Grande-Bretagne.
Si vous interrogez les autres sites officiels, on vous expliquera en général que les progrès ont été immenses dans le cancer du sein, et que le taux de survie global est désormais de 80 % à cinq ans.
Mais la réalité derrière ce chiffre n’est pas rose du tout, c’est le cas de le dire.
Il est vrai que, sur 100 femmes diagnostiquées du cancer du sein, 80 sont toujours vivantes après cinq ans et 69 seront toujours vivantes dans sept ans.
Toutefois, 19 d’entre elles souffriront à ce moment-là d’une rechute de leur cancer du sein ou d’un autre cancer, et 29 auront une autre grave maladie.
Ce qui veut dire au bout du compte que : sur les 100 femmes du départ, seules 20 seront en bonne santé 7 ans plus tard.
Pour le dire autrement, si on vous diagnostique un cancer du sein aujourd’hui, vous avez un risque de 80 % d’être décédée ou toujours gravement malade dans sept ans.
Parler de « progrès fulgurants » n’est pas respectueux de la souffrance des malades.
Le problème est le même pour le cancer de la prostate, lui aussi prétendument guéri dans 80 % des cas.
En réalité, seuls 25 % des hommes atteints du cancer de la prostate seront encore vivants et en bonne santé sept ans plus tard.
De plus, parmi les personnes comptées comme ayant « guéri » du cancer de la prostate, un grand nombre n’avaient en réalité aucun cancer dangereux au départ, mais auront été opérés et souffriront d’incontinence et d’impuissance sexuelle.
La plupart des hommes de plus de 75 ans ont en effet des cellules cancéreuses dans la prostate et si l’on fait un test PSA, celui-ci semblera indiquer un cancer.
Ces cas de faux cancers influencent fortement les statistiques de survie, qui ne sont nullement attribuables à des progrès dans le traitement du cancer de la prostate.
Selon le centre du Cancer du Royaume-Uni, « l’interprétation des tendances de survie pour le cancer de la prostate est rendu difficile car le type de cancer de la prostate diagnostiqué a changé au cours du temps à cause du test PSA. ».
Le problème est encore bien pire pour le cancer du pancréas et le cancer du poumon : leur taux de survie à cinq ans n’a pas bougé d’un pouce, il est toujours le même qu’au 19e siècle.
97 % des victimes du cancer du pancréas sont décédées dans les cinq ans.
21 % des personnes diagnostiquées du cancer du poumon sont mortes dans le mois qui suit. Plus de la moitié (56 %) meurent dans les six mois et 73 % dans l’année. Seuls 5 % seront encore en vie sept ans plus tard, dont seulement 1 % seront en bonne santé.
Concernant le cancer du cerveau, l’évolution varie selon le type de cancer. Plus de la moitié (55 %) des personnes touchées par un glioblastome meurent dans les six mois. Moins de 2 % seront encore en vie sept ans plus tard. Pour le méningiome, 23 % seront encore en vie et en bonne santé sept ans plus tard.
Progrès ou pas dans le traitement du cancer, ces chiffres interdisent tout triomphalisme.
Pourquoi la chimiothérapie est controversée
Actuellement, la chimiothérapie reste un des trois piliers de la lutte contre le cancer, avec la chirurgie et la radiothérapie.
Pourtant, nous avons vu que l’efficacité de la chimiothérapie, nette pour les cancers liquides, ne l’est pas pour les cancers à tumeur solide. Les progrès, s’ils existent, sont difficiles à mesurer, et sont de toute façon limités. On parle d’allonger la vie des malades de quelques mois, mais, à quel prix ?
Au prix d’intenses souffrances liées au caractère toxique de la chimiothérapie, comme on l’a vu, mais aussi à un coût financier de plus en plus considérable.
Le prix moyen des nouveaux médicaments contre le cancer aux Etats-Unis a augmenté de cinq à dix fois au cours des 15 dernières années. Il était en 2012 supérieur à 100 000 dollars selon un éditorial de la revue de la Mayo Clinic, le centre médical de référence.
Mais les choses s’aggravent : les médicaments qui sortent actuellement coûtent 150 000 dollars par an.
Selon un des médecins dirigeants de l’Institut Sloan-Kettering (l’ancien service de la Guerre Chimique), ces médicaments sont en général utilisés à plusieurs, ce qui signifie un coût par patient de 300 000 dollars par an. J’en ai parlé récemment dans Santé Nature Innovation.
Face à une telle inflation des coûts, on ne s’étonnera pas que des voix s’élèvent pour demander quels sont exactement les bienfaits pour les malades de ces traitements, et s’il existe la moindre proportion entre leur coût et l’amélioration de leur santé.
Dans la mesure où la cancérologie mesure ses résultats en terme de nombre de mois de survie gagnés, sans préciser l’état dans lequel se trouve le malade ni les effets indésirables dont il souffre, il est légitime de se poser la question.
Selon les données les plus récentes, il ne semble pas raisonnable d’administrer une douloureuse et coûteuse chimiothérapie à un patient qui souffre d’un des nombreux cancers à mauvais pronostic vital, comme le cancer du poumon ou celui du pancréas.
Chaque personne frappée par le cancer mérite en tout cas d’être informée du fait que son traitement de chimiothérapie sera très douloureux et aura des bienfaits incertains, mais qu’il existe en revanche une certitude : ce traitement va rapporter beaucoup d’argent à l’industrie pharmaceutique.
Beaucoup, beaucoup d’argent.
Et que ce n’est donc pas forcément parce qu’il y a des progrès ou des espoirs réels pour les patients que l’industrie du cancer continue à sortir sans cesse de nouveaux médicaments et à multiplier les opérations de communication autour du cancer et les promesses de lendemains qui chantent, visant à maintenir l’usage massif de la chimiothérapie dans les hôpitaux.
Suis-je « complotiste », « conspirationniste », quand j’écris cela ? Je ne le pense pas.
Reconnaître que la médecine est aussi une activité économique, qu’elle fait vivre des industries, mais donc aussi des gens, qui peuvent avoir intérêt à laisser entendre autour d’eux qu’ils peuvent « faire des miracles », alors que ça n’est pas forcément vrai, c’est porter un regard adulte sur le monde qui nous entoure, pour le reconnaître tel qu’il est.
Et c’est en osant voir la réalité en face qu’on fait les meilleurs choix pour sa santé.
Si cette lettre donc, peut motiver des personnes concernées par le cancer à engager le dialogue avec leurs équipes soignantes, pour s’assurer que la meilleure décision possible est prise pour leur traitement, je n’aurais pas complètement perdu mon temps.
À votre santé !
Jean-Marc Dupuis
PS : je précise, à toute fin utile, que je ne suis à aucun titre un spécialiste du cancer. Cette lettre est publiée à titre informatif uniquement, et peut contenir (elle aussi !) des inexactitudes involontaires. Mais mon objectif n’était pas de faire un cours sur le cancer et la chimiothérapie, qui appartient à la Faculté de Médecine, mais de donner des pistes de réflexions pour donner à mes lecteurs les raisons pour lesquelles le débat scientifique ne doit pas être interdit sur ce sujet, fut-ce par des journalises bien intentionnés.
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