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Ces malades qui sont indispensables

 

En théorie, ce sont les bien-portants qui s’occupent des malades.

En pratique, ce sont bien souvent des personnes malades, blessées, infirmes qui prennent le mieux soin des autres :

→ ainsi cet employé accablé par le mal de dos, qui va trouver le moyen de continuer à faire son travail couché sur un lit, en aménageant une étagère spéciale pour faire de l’ordinateur couché…

→ ainsi cette femme seule qui suit une chimiothérapie et trouve encore le moyen d’éduquer ses enfants et de les aider à préparer leurs examens…

→ ainsi ce médecin abandonné par sa femme, parce qu’il “travaillait trop”, et qui continue à passer ses nuits à opérer, pour sauver les autres, alors que plus personne ne s’occupe de lui…

→ ou encore ce psychologue qui a eu tous les malheurs de la terre, et qui passe sa journée à résoudre les problèmes… des autres.

Oui, si souvent, je suis frappé de voir combien le fragile équilibre du monde repose sur les personnes qui paraissent avoir encore moins de moyens que les autres.

Pourtant, ce sont bien souvent leurs efforts à elles qui font que les choses tiennent debout.

Le sens des responsabilités, la conscience des problèmes

Je l’ai constaté partout, à la maison comme au travail, ou dans la rue.

Mon explication est que la souffrance, la maladie, les blessures, ouvrent les yeux, et le cœur. C’est cela qui permet la transformation qui fait que la personne réalise ce qui est vraiment important dans la vie, et qu’elle se met à utiliser son temps, son énergie, ses talents, de la bonne façon.

Quand vous souffrez :

  • Vous réalisez que rien n’est acquis dans la vie, pas même le fait de reposer sur un lit sans rien ressentir. Au contraire, après une douloureuse maladie ou un accident, vous mesurez la chance inouïe que c’est de n’avoir mal nulle part. La santé, “c’est le silence des organes” disait un célèbre médecin et chirurgien français, le Dr René Leriche. Les petites choses qui semblaient acquises et évidentes dans votre vie d’avant, vous apparaissent comme des dons inestimables ;
  • Vous comprenez, dans la souffrance, que nous sommes, au fond, tous dans le même bateau. Cela crée un sentiment de proximité et de solidarité réconfortant. L’humanité n’apparaît plus comme divisée entre des gagnants et qu’il faut jalouser, et des ratés qu’il faut plaindre ou mépriser. Les choses s’unifient et paraissent beaucoup plus simples et saines. La vérité est que nos différences sont bien moindres que nos ressemblances. Nous sommes tous appelés, tôt ou tard, à tomber malade, souffrir, mourir. La souffrance n’est donc pas une exception, mais la règle, le point commun qui rassemble les hommes. Elle leur permet de se comprendre, de se sentir proches les uns des autres, sujets d’une expérience commune. Elle leur permet de s’entraider, de s’épauler, au-delà de tous leurs conflits. Dans la souffrance, on réalise que peu importent, au fond, nos diplômes, nos titres, notre compte en banque, notre apparence. Nous nous révélons dans la vérité de notre être, notre faiblesse et notre vulnérabilité, notre dépendance aux autres. Les vraies valeurs nous apparaissent, c’est-à-dire notre capacité à sourire à la vie malgré tout, et ne pas nous transformer en boule d’égoïsme, de gémissement et de ressentiment.
  • Dans la souffrance et la maladie, les vrais héros se révèlent : ce sont ceux qui parviennent à continuer à écouter, apprendre, comprendre, progresser, assumer, en échappant à la tentation terrible du désespoir – même si celle-ci est inévitable à certains moments.
  • Le psychologue canadien Jordan Peterson raconte dans un de ses livres l’émotion qu’il ressent lorsqu’il s’aperçoit des épreuves insensées auxquelles sont confrontés ses patients, sans que cela ne les empêche, chaque jour, d’accomplir leurs tâches écrasantes. Le problème le plus fréquent, dit-il, n’est pas que les personnes se plaignent trop, mais au contraire qu’elles n’aient pas assez conscience du mérite qu’elles ont de tenir le coup, malgré tout ce qui leur tombe dessus. Ce sont des problèmes de santé, doublés de déconvenues sentimentales, de crises familiales, de déboires professionnels, d’abandons, de violences, de trahisons. La question qu’il se pose alors n’est pas pourquoi ces personnes vont mal (c’est tellement évident), mais au contraire : “Par quel miracle ces personnes arrivent-elles à tenir ??
  • Mais précisément, c’est là l’aspect merveilleux de la chose : ces personnes, pour la plupart, tiennent, et même c’est sur leurs épaules que reposent toutes sortes de choses improbables qui, grâce à elles, fonctionnent quand même. L’un parvient malgré son cancer à tenir un commerce, assurant une présence vivante dans son quartier, procurant un modeste revenu à sa famille, et un même un petit emploi à un ami dans le besoin. En l’écoutant, vous apprenez au détour d’une phrase qu’il trouve encore le temps de donner ses produits en voie d’être périmés à une vieille dame encore plus mal en point que lui, et qu’il a des talents de bricoleur qui lui permettent de rendre service à droite et à gauche.
  • L’autre cultive un jardin potager dans une association communale qui, constatant sa fidélité, lui a confié le poste de trésorier et la charge d’organiser la kermesse annuelle. Ses connaissances en botanique sont encyclopédiques, il sait rafistoler les vieux outils et procure à moindre coût des bêches et des bines de qualité à tous les jardiniers en herbe qui s’essayent. Bien entendu, il produit des surplus qu’il distribue, sans même y penser, à son beau-frère handicapé qui peut ainsi manger de bons légumes.
  • Et ainsi va l’humanité, “l’un poussant l’autre, l’autre tirant l’un”, avec bien sûr régulièrement la rencontre de la méchanceté, la bêtise, la mesquinerie, mais par ailleurs tant et tant et tant d’efforts, de talents, de dons, d’entreprises, qui s’épanouissent.
  • Tels des millions de ruisseaux qui se joignent pour former le fleuve Amazone, qu’aucun barrage ne peut arrêter, toutes ces forces positives se combinent pour produire un monde où, malgré tout, la plupart des gens ont un toit sur leur tête et un peu de nourriture à se mettre sous la dent.
  • Dans beaucoup de pays, y compris des pays qui étaient atrocement pauvres il y a encore trente ans, comme l’Inde, la Chine, le Mexique ou le Brésil, vous trouvez aujourd’hui des hôpitaux équipés des scanners dernier cri, des chirurgiens capables d’opérer à cœur ouvert, de l’eau potable dans tous les villages, des bus, des trains, des livres pour ceux qui en souhaitent, sans parler évidemment de smartphones dans toutes les poches.

Le mythe de la bonne santé

Nous restons, c’est bien compréhensible, attiré par le mythe de la personne en parfaite santé, tel l’athlète soviétique sculptural et impassible, capable des plus grands prodiges sportifs.

 

 

Pourtant, il faut ouvrir les yeux, dans la rue comme dans les transports : ce ne sont pas de telles personnes qui font tourner le monde. Ce sont des gens “normaux”, c’est-à-dire avec des infirmités, des limites, des petitesses, qui ont appris à “faire avec” et à pousser leur esquif malgré tout à travers les tempêtes.

“C’est comme ça qu’on vit sa vie, 

On est sur une corde raide

A chaque pas on croit qu’elle cède…” chantaient les Frères Jacques.

Pour ressembler à un athlète soviétique, beau, jeune, fort, bronzé et souriant , la principale qualité qu’il vous faut est une bonne dose de narcissisme pour être capable de fermer les écoutilles, rester sourd à tout ce qui vous appelle au dehors, et ne vous concentrer que sur vous-mêmes, vos performances, votre apparence.

Cela peut marcher – pour un temps. Mais même si vous réussissez aussi bien qu’Arnold Schwarzenegger, en son temps, il est sage de garder en tête que, même pour lui, la roue tourne :

A votre santé !

Jean-Marc Dupuis

 



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