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Le goût – et le prix – des bonnes choses

 

Tout jardinier qui se respecte connaît les variétés anciennes et nouvelles de tomates.

Mais il y a une loi d’airain, qui s’applique à toutes : plus une variété produit de fruits et résiste aux maladies, moins elle a bon goût.

Quel dommage !

Mais cela semble être une loi de la Nature : ce que vous obtenez facilement, et en grande quantité, a peu de valeur.

C’est comme les perles, ou les pierres précieuses : les plus belles sont les plus rares.

C’est pourquoi les bonnes tomates sont plus chères. Beaucoup plus chères. Beaucoup, beaucoup plus chères !

Au supermarché, des tomates productives, résistantes aux maladies, mais dures et fades

Vous pouvez, si vous le voulez, récolter des dizaines de kilos de tomates sur un seul plan.

Les tomates que vous trouvez au supermarché viennent d’ailleurs de ces variétés.

  • Mais si vous voulez une tomate douce, sucrée, dont les saveurs éclatent au moindre brin de persil ou à la plus petite feuille de basilic…
  • Une tomate charnue, qui fait l’effet d’un baiser langoureux quand vous la posez sur la langue…
  • Une tomate vivante, qui chante la Provence, les cigales, les oliviers, le soleil de la Méditerranée…

Alors n’espérez pas en remplir des cageots.

Le plant poussera difficilement.

Les maladies seront nombreuses : le mildiou, pour commencer, puis le botrytis, aussi appelé “pourriture grise”, l’oïdium, l’aternariose, la chlorose et, surtout, la terrible “maladie bronzée” de la tomate.

La tomate peinera à éclore. Puis elle refusera de mûrir. Enfin, elle éclatera, sur le pied !

Les mille épreuves du jardinier

Il n’y a que si vos pieds sont assez espacés, et bien aérés ; que si vous avez réussi à éviter de mouiller les feuilles, avec un petit abri adéquat ; si vous avez régulièrement inspecté pour intervenir au premier signe d’infection ; si vous avez évité de le noyer d’un arrosage incontrôlé, et déjoué les excès de sécheresse, du chaud comme du froid. Si vous avez évité de cultiver vos tomates à proximité des pommes de terre et si, enfin et surtout, vous avez eu beaucoup de chance.

Ce n’est qu’alors que vous récolterez une tomate biscornue mais succulente, dont la saveur marquera vos papilles. Cette tomate prodigieuse qui vous fait entrer dans un nouvel univers de volupté, que longtemps vous regretterez.

On se doute que les producteurs industriels, qui ont besoin de milliers de tonnes de tomates pour approvisionner les supermarchés, n’ont pas le temps pour cela. Ils ne peuvent pas prendre le risque. Ils ont besoin de tomates calibrées, fermes, résistantes aux maladies, et surtout de longue conservation. Ils doivent miser sur la sécurité s’ils veulent pouvoir payer leurs emprunts, leurs engrais, les intermédiaires et les impôts.

Ils n’ont pas d’autre choix que de produire des tomates qui résisteront au transport par camion, au stockage, aux manipulations et tripotages sur les étals. Des tomates qui resteront intactes quand on les jette au fond d’un caddie, quand on les écrase sous un pack de lait (ou de bière), quand on les passe sur le tapis roulant de la caisse. Des tomates qui rejoindront sans se crever le fond du coffre de voiture, supporteront d’être roulées dans les ronds-points et les bretelles d’autoroute, avant d’être transportées par ascenseur jusqu’à l’appartement, puis mises au frigo.

Histoire d’amour avec une tomate

La tomate dont je vous parle, moi, est cueillie encore chaude, au coucher du soleil.

Avec précaution, je la lave dans ma source. D’un pas lent, je la rapporte jusque dans ma cuisine, où je la plonge cinq secondes dans l’eau bouillante. La peau s’en va d’un coup, et se révèle un fruit carmin ou vermillon, strillé d’incarnat. Elle est douce comme le velour, car le plaisir d’une bonne tomate tient plus encore à sa texture qu’à son goût. C’est la douceur tiède qu’on recherche, le jus qui coule à flot à la moindre pression sur le palais.

Cette tomate n’a en réalité pas besoin de plus qu’un peu de fleur de sel pour donner le meilleur d’elle-même, quoique l’ail, l’huile d’olive et une pointe de vinaigre, voire un peu de mozzarella di buffala, la rehaussent encore.

Mais voilà : c’est une rareté. Un don.

Vous ne pouvez pas l’obtenir en claquant des doigts. Il faut la séduire, se mettre à son service, ou du moins aller jusqu’à elle, et il est illusoire d’espérer lui mettre la main dessus en se contentant de débourser 5 euros, ou même 10 euros le kilo, dans un quelconque supermarché de grande ville.

Pas de prix pour une bonne tomate

Très franchement, les (quelques) bonnes tomates que je récolte chaque année, entre la fin du mois d’août et le 15 septembre, sont sans prix.

Si on me donnait 100 euros par tomate, cela ne compenserait pas le travail, le soin, l’inquiétude qu’elles m’ont procuré.

Du tri de graines à la fabrication du compost et au désherbage à la main, en passant par les semis, la transplantation, l’arrosage, l’installation des tuteurs, des protections, la prévention des maladies, et l’arrachage, ou plutôt le délicat pinçage, des “gourmands” – les branches de tomates qui cherchent à pousser en diagonale, sous chaque feuille, et qu’il faut pincer avant qu’ils ne croissent – c’est une charge, une mission, un sacerdoce.

Pas de prix pour de bonnes fraises, de bonnes carottes et de bonnes patates !

Et je peux en dire autant de la culture de mes fraises, de mes poireaux, de mes carottes, de mes pommes de terre même.

Si vous voulez une bonne pomme de terre, vous devez accepter un rendement moindre.

La fameuse loi de la Nature. On peut l’expliquer par la logique : le sol, même enrichi, ne contient qu’une quantité donnée de minéraux et nutriments. La plante, malgré son réseau racinaire, n’a qu’une capacité d’absorption limitée

Pour exhaler toutes leurs saveurs, fruits et légumes ont besoin de temps pour élaborer et concentrer les parfums, et se charger de molécules aromatiques.

Plus la récolte est abondante, moins chaque légume ou fruit récolté n’en aura accumulé.

C’est pourquoi les grosses pommes Golden ou Granny Smith ne peuvent pas, ne pourront jamais, être aussi parfumées et acidulées que mes petites pommes de plein champ, cox orange, reinettes et Boskoop.

C’est une loi que notre époque s’obstine à refuser.

Depuis des décennies, les ingénieurs agronomes nous promettent des fruits et des légumes qui auront à nouveau du goût.

Ils tripotent les génomes. Ils fabriquent des hybrides. Ils jouent avec les ADN. Surtout, ils dépensent des budgets, de la salive, et font parler d’eux dans les journaux. [1]

Mais dans nos caddies, et dans nos assiettes, c’est toujours la même histoire triste, sauf pour les chanceux qui, parmi nous, ont un potager bio.

À votre santé !

Jean-Marc Dupuis

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