Remigius Hunziker, président des apiculteurs de la ville de Bâle et de sa région, est en colère.
Depuis que la population s’inquiète de la disparition des abeilles, il est devenu « chic » de se déclarer apiculteur, surtout en ville.
Résultat : il affirme qu’il y aurait « beaucoup trop de colonies d’abeilles » dans certains endroits de sa région !!
« Rien qu’à Bâle-Ville, il y a 100 apiculteurs pour 800 colonies. Il est vrai que les fleurs sont parfois plus présentes en ville qu’à la campagne, mais l’offre reste limitée et cette densité génère du stress, ce qui peut également provoquer des maladies [1]. »
Cette déclaration date déjà d’il y a quatre ans (juin 2013). Or, entre-temps, la tendance s’est fortement accentuée.
L’apiculture a explosé en Suisse. Les formations d’apiculteurs affichent complet, parfois même jusqu’en 2018 [2].
Ruedi Ritter, le directeur d’Apisuisse, l’association des apiculteurs, a déclaré :
« Nous ne manquons pas d’abeilles actuellement. » [3]
Le pays comptait 160 000 colonies d’abeilles en 2013, il y en a désormais 300 000, chacune d’entre elles pouvant compter 20 000 butineuses, soit 6 000 000 000 d’abeilles d’élevage, plus 750 sortes d’abeilles sauvages qui vivent seules.
Problèmes causés par l’apiculture intensive
Les abeilles domestiques sont très sensibles aux maladies. Il faut les surveiller en permanence et les soigner pour éviter toute épidémie. C’est pourquoi les apiculteurs font traditionnellement partie de réseaux qui les informent dès qu’apparaît un champignon, un virus ou une bactérie mortelle pour les abeilles.
Or beaucoup d’apiculteurs idéalistes ne se signalent pas et ignorent tout de ces problèmes. Leurs ruches deviennent alors des vecteurs de maladies qui contaminent les autres.
En outre, les cours surchargés nuisent à la qualité, souligne Alfred Höhener, responsable de la formation chez Apisuisse.
Il met aussi en avant les dangers que courent les ruches en environnement urbain, comme les animaux domestiques ou autres qui peuvent déranger les ruches, voire bouger les cadres.
Rien que dans la ville de Berne existent une centaine de colonies dont les autorités ne savent pas si elles sont enregistrées. Et en cas de problème, comme une épidémie, ces apiculteurs « sauvages », qui ne s’occupent souvent que de deux ruches, ne peuvent être avertis et contribuent, sans le savoir, à la dissémination des maladies.
Ils peuvent enfin nuire aux autres ruches : si un essaim meurt durant l’hiver, il se peut que l’autre ruche soit également en danger, car une colonie isolée est souvent trop faible pour survivre.
Nouvelle espèce de délinquance !
L’augmentation de la demande de ruches alimente une nouvelle filière de délinquance : le vol de ruches, qui touche la France également.
Les vols de ruches deviennent de plus en plus fréquents sur le territoire. 200 000 abeilles ont disparu d’un coup en juillet dernier dans le Lot [4], où il est désormais conseillé de marquer ses ruches à la pyrogravure, un peu comme pour les voitures.
C’est toutefois moins qu’au Canada, où un vol de 5 millions d’abeilles a été commis l’année dernière [5].
Dans le canton de Vaud en Suisse, le phénomène a pris une telle ampleur que les ruches sont désormais placées sous vidéosurveillance, en pleine forêt [6] !
Le miel des villes est-il sain ?
On peut s’étonner que des gens fassent du miel au beau milieu des villes polluées.
En réalité, aussi étonnant que cela puisse paraître, les villes disposent d’une biodiversité plus élevée que certaines zones de campagne, grâce à la variété des espèces qui poussent sur les balcons, dans les jardins de ville, dans les parcs et les cimetières.
Non seulement les arbres et les fleurs ornementales constituent un cocktail de nectars, mais les villes ne sont pas systématiquement aspergées de pesticides, comme le sont en général des cultures dans les campagnes. De plus, les villes offrent des espaces de nidification intéressants aux abeilles sauvages, dont l’habitat est détruit par les monocultures dans les campagnes.
Un test réalisé sur le miel de l’Opéra de Paris a montré que celui-ci possédait des caractéristiques proches des miels bio sauvages et ne contenait aucune trace d’hydrocarbures ou de métaux lourds. [7] Cela tiendrait au fait que l’abeille a un « effet filtre » permettant au miel d’être exempt de polluants ou de pesticides, même si ces substances nuisent à la survie de l’insecte lui-même.
Et la disparition des abeilles, dans tout ça ?
L’inquiétude quant à la « disparition des abeilles » concerne en fait surtout les abeilles sauvages, qui ne vivent pas dans les ruches.
Elles vivent solitaires et nichent dans des coquilles d’escargot, des murs, du bois, des tiges de plantes…
Il existe 20 000 espèces d’abeilles sauvages, dont beaucoup sont dépendantes de certaines plantes. Si celles-ci disparaissent, l’abeille disparaît aussi. Ces espèces particulières ont mis des millions d’années à apparaître, mais peuvent disparaître du jour au lendemain si elles ne trouvent plus la plante, parfois rare, qu’elles butinaient.
Entre 38 % et 68 % des abeilles sauvages sont menacées par un tel sort en Europe centrale, selon les régions. En Suisse, elles seraient quelque 45 % d’après une liste rouge datée de 1994 qui est en train d’être actualisée.
Or, ces abeilles sauvages sont plus efficaces pour polliniser que les abeilles d’élevage. Pour polliniser un hectare de verger de pommiers, il faut plusieurs dizaines de milliers d’abeilles domestiques, mais seulement quelques centaines d’abeilles dites « maçonnes [8] ».
Seul un tiers de la pollinisation de la culture agricole s’effectue par des abeilles domestiques, le reste est réalisé par les abeilles sauvages et les bourdons, d’après une étude britannique de 2007.
Aussi, donc, avant d’installer un rucher dans votre jardin, renseignez-vous auprès de l’association locale des apiculteurs pour savoir si, vraiment, votre zone manque d’abeilles domestiques.
Le cas échéant, veillez plutôt à favoriser dans votre jardin la variété des plantes et des fleurs, ainsi que les habitats pour les abeilles sauvages.
Aménagez dans votre jardin un espace, le plus grand possible, où vous laisserez pousser les plantes autochtones (naturelles de votre région).
Dans la plus grande discrétion, trahies par un simple bourdonnement discret, des abeilles sauvages viendront butiner. Mais, comme chacun sait, « le bruit ne fait pas de bien, et le bien ne fait pas de bruit » !
Sources :
[1] Les Suisses se piquent d’apiculture
[2] Depuis trois ans, l’apiculture connaît un vrai boom en Suisse
[3] Les Suisses se piquent d’apiculture
[4] Vol de ruches : 200 000 abeilles disparaissent
[5] Vol de 5 millions d’abeilles et 180 ruches chez Miel Labonté
[6] Des ruchers vaudois sont placés sous vidéosurveillance
[7] Le meilleur miel de France fabriqué sur les toits de Paris
[8] Selon Andreas Müller, dans le magazine alémanique Ornis de l’ASPO/BirdLife Suisse.
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