Prononcez le mot « belle-mère » et déjà tout le monde ricane, s’attend à des méchancetés.
Mais mes beaux-parents vivent (la plupart du temps) chez nous et j’en suis très heureux.
Pour la vie en communauté
Mes beaux-parents sont trop vieux, fatigués, et malades pour travailler à l’extérieur.
Mais à deux, ils ont largement assez de force pour nous aider à surveiller nos enfants. Et nos enfants adorent ! C’est mille fois mieux qu’une nounou, une babysitter !!
Mes beaux-parents, eux, sont ravis aussi.
Plutôt que de s’ennuyer, regarder la télévision, ou rester en face à face avec leurs amis qui commencent, eux aussi, à vieillir, ils passent beaucoup de temps avec leurs petits-enfants.
Ils vont les chercher à l’école, leur donnent leur goûter, surveillent leurs devoirs, les emmènent au parc.
Mon beau-père, médecin, enseigne l’anatomie, la physiologie et la thérapeutique à ma fille Carine qui se prépare aux études de médecine. Il lit mes lettres sur la santé et m’en parle souvent en riant.
Ma belle-mère, professeur de lettre, aide mon autre fille à préparer son bac français.
Ils nous aident également, pour les courses, les repas, le ménage. Cela nous fait économiser beaucoup de temps et d’énergie.
Réciproquement, ils font d’importantes économies à vivre chez nous car ils n’ont pas d’assurances, de factures, ou de réparations à payer.
Tout le monde est gagnant.
En fin de compte, ce système mutuellement bénéfique n’est qu’un retour à ce qui s’est fait depuis des millénaires dans toutes les civilisations, à toutes les époques. Les anciens aidaient les jeunes.
La solitude pire pour la santé que l’obésité et le tabac
Dans une étude qui a fait beaucoup de bruit cette année, et dont j’ai déjà parlé, Julianne Holt-Lunstad, professeur de psychologie à l’Université Brigham Young (USA), a montré que les relations sociales sont absolument indispensables pour la santé.[1]
La solitude multiplie par deux le risque de décès précoce.
« L’effet est comparable au risque de fumer jusqu’à 15 cigarettes par jour », explique-t-elle. « Il dépasse le risque de la consommation d’alcool, de la sédentarité, de l’obésité, et de la pollution. »[2]
Pour mes beaux-parents aussi, je m’aperçois tous les jours combien le contact avec leurs petits-enfants, et, oserais-je dire, avec nous, leur fait de bien.
Ils sont moins souvent malades, plus enjoués, sortent plus souvent, sont donc en meilleure forme physique, mangent mieux puisqu’ils suivent le rythme des repas familiaux, etc.
Cela fait partie des avantages de vivre à trois générations sous le même toit.
Gérer les conflits
Ce tableau idyllique des relations avec mes beaux-parents doit bien comporter des ombres ?
Evidemment, oui.
Mes beaux-parents, comme tous les beaux-parents, ont leurs défauts, leurs manies, leurs phobies, leurs humeurs…
Comment gérer ?
Un studio avec sa propre entrée
D’abord, une chose très importante :
Nous avons la chance considérable d’avoir un studio indépendant, avec sa propre entrée, où ils logent. Ce qui veut dire qu’ils n’habitent pas réellement chez nous, même s’ils sont sous le même toit.
Ni moi ni mon épouse n’allons jamais dans ce studio (nos enfants par contre, oui, et ils adorent car là ils ont le droit de tout faire !).
J’écris « chance considérable » mais ce n’est pas complètement un hasard non plus.
Nous avons toujours eu le projet d’habiter une maison qui aurait un petit logement à part, justement pour loger mes parents ou mes beaux-parents.
Ce fut un critère de choix important quand nous avons acheté notre maison.
Je conseille à ceux qui ont le projet d’accueillir leurs parents ou beaux-parents chez eux de faire la même chose. Et pour ceux qui ont des moyens importants, c’est encore préférable d’avoir une petite maison séparée. Par exemple, un bungalow dans le jardin.
Echange de bons procédés
Ensuite, vous l’avez compris, nous sommes dans un système où nous nous rendons vraiment service mutuellement.
Ce système gagnant-gagnant est très important pour surmonter les inévitable frustrations de la cohabitation.
Je sais que ça ne durera pas toujours. Viendra un jour où ils ne pourront plus nous aider du tout, au moins d’un point de vue pratique.
Cependant, d’ici là, nos enfants j’espère auront grandi. Et ils pourront nous aider à nous occuper de leurs grands-parents avec qui ils auront construit de solides liens d’affection.
Je pense que la charge sera supportable. Nous serons heureux de rendre à mes beaux-parents les services qu’ils ont eux aussi rendus, sans autre contrepartie que l’affection, à ma femme quand elle était petite.
Poser des limites
Mes beaux-parents prennent soin régulièrement de nous laisser seuls, et de faire des activités de leur côté.
En particulier le week-end, les vacances, le soir quand tout le monde est là, ils s’absentent même si, au fond, ils auraient parfois envie de rester et de participer aux joyeuses activités de la famille.
Ces petits « sacrifices » permettent de maintenir intact la joie de se retrouver.
Autre limite importante : dès qu’ils sentent une tension s’installer dans la famille (par exemple, entre mon épouse et moi, ou entre un de nos enfants et nous), ils s’éclipsent, plutôt que d’essayer de s’interposer.
Cette neutralité est extrêmement saine. Elle évite la contagion, et l’escalade, dans les conflits.
Etre honnête, de bonne foi
Mes beaux-parents ne prétendent pas être parfaits. Nous non plus.
Nous savons qu’ils ont des choses à nous reprocher, et vice versa.
Des explications sont parfois nécessaires, et alors nous n’hésitons pas à les avoir, sans crainte de porter atteinte à l’image si tentante, mais idéaliste et irréaliste, de la famille parfaite.
Cette honnêteté dans les rapports a beaucoup fait pour nous permettre de surmonter les difficultés.
Et enfin
Et enfin, un dernier point. Je l’ai gardé pour la fin parce que c’est sans doute le plus difficile à aborder… pour mon épouse et moi.
Mais c’est important d’avoir le courage et l’honnêteté d’en parler.
Mes beaux-parents n’essayent pas, et n’ont jamais essayé, de devenir chefs de la famille… à notre place.
C’est là une tentation souvent irrésistible pour les parents. Ce sont eux qui ont toujours eu l’autorité. Eux qui savent. Eux qui ont l’expérience. L’antériorité. Alors ils s’attendent à pouvoir n’en faire qu’à leur tête, et à exiger que leurs enfants non seulement les laissent faire, mais les approuvent !
Mais lorsque les enfants sont devenus adultes, cette « autorité » devient vite de la tyrannie.
Et c’est alors que les relations deviennent insupportables.
Pour s’entendre durablement avec leurs enfants devenus adultes, les parents doivent comprendre que les enfants, à leur tour, ont droit à leur autonomie.
Oui, il est écrit dans les Dix Commandements que les enfants doivent « honorer » leurs parents.
Mais honorer ses vieux parents, quand on est adulte, veut dire être bienveillant avec eux, les aider. Cela ne veut pas dire qu’on doit leur obéir au doigt et à l’œil comme lorsqu’on avait cinq ans.
Non, les parents n’ont pas toujours raison. Non, il arrive parfois, et même souvent, que leurs enfants devenus adultes sachent mieux qu’eux ce qu’ils veulent et doivent faire.
Mes beaux-parents respectent cela. Et nous leur en sommes d’autant plus reconnaissants que cela n’est pas si fréquent, si j’en juge par les histoires horribles que nous racontent nos amis, ou dont nous avons été témoins dans notre entourage proche.
Lorsque les parents refusent cela et cherchent par diverses stratégies plus ou moins sournoises (chantage affectif, autoritarisme, mauvaise foi, chantage à l’héritage), à contester l’autonomie de leurs enfants, le conflit est assuré et peut aller jusqu’à l’explosion de la famille.
Mes beaux-parents ont compris cela et y ont toujours fait très attention, aussi loin que je me souvienne. C’est un des points les plus importants, qui fait qu’ils sont si bienvenus chez nous !
Et si j’ose donner un conseil aux autres parents, faites comme eux.
C’est tout bête. Mais cela pourrait faire, pour les relations entre les générations et donc pour la santé et le bien-être des personnes âgées dans notre société, plus de bien que toutes les campagnes de vaccination contre la grippe (et le reste), réunies.
Sources :
[2] Why loneliness can be as unhealthy as smoking 15 cigarettes a day
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