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Rejeté…

L’instinct tribal nous fait désirer la compagnie et la reconnaissance de nos proches.

Selon le magazine Psychology Today :

« Le sentiment d’être exclu a servi une fonction essentielle dans notre passé… Dans notre passé de chasseurs-cueilleurs, être exclu par le groupe équivalait plus ou moins à une peine de mort, parce que l’individu avait peu de chances de survivre bien longtemps. Les anthropologues qui se sont penchés sur la question estiment que le cerveau humain a mis en place un système de détection pour nous avertir que nous courions le risque d’être rejetés. Parce que l’exclusion avait de très graves conséquences, ceux dont le cerveau ressentait le plus fortement cet avertissement (parce que la menace d’exclusion était douloureuse comme un mal physique) ont gagné un avantage évolutif. Ces individus étaient davantage susceptibles de réagir, et donc avaient de meilleures chances de demeurer au sein du groupe. »

D’où ce sentiment si violent quand nous avons l’impression qu’on nous montre du doigt en ricanant.

Nous sommes si sensibles au regard des autres qu’une simple paire d’yeux fixés sur nous suffit à ce que nous nous sentions menacés ou, du moins, mal à l’aise.

C’est le thème du célèbre poème de Victor Hugo sur l’assassin Caïn. Caïn est poursuivi à travers le monde entier par un œil, qui le regarde. Il est terrorisé. Et pourtant l’œil ne fait rien d’autre que de l’observer ! Mais cet œil le suit jusque dans la tombe. Nous éprouvons tous un frisson d’horreur en entendant ces paroles fatidiques : « L’œil était dans la tombe et regardait Caïn. »

Rejeté par la foule…

Cette réaction de crainte des regards fixés sur nous était bien justifiée autrefois. Malheur à celui qui était entouré d’une foule menaçante.

Il ne fallait pas longtemps avant que quelqu’un ne se baisse, ramasse une pierre et la lance sur la victime. Dans un vaste mouvement « mimétique », c’est-à-dire d’imitation spontanée, les autres suivaient. En quelques instants, la victime se retrouvait immolée sous un tas de pierres, lapidée. Le philosophe René Girard a écrit des livres entiers sur ce phénomène du « bouc émissaire ».

En Europe, la lapidation n’a disparu qu’il y a quelques décennies à peine. On se souvient de la scène poignante de lapidation dans Zorba le Grec, fameux film avec Anthony Quinn dans les années 1940 en Crète :

Mais cette terrible réalité est restée profondément gravée dans notre inconscient.

  • Dès que nous avons le sentiment d’être rejetés,
  • ou même dès que nous avons l’impression que quelque chose en nous justifierait que nous soyons rejetés

notre confiance en nous-mêmes s’effrite.

La vie nous semble hostile, dangereuse.

Nous avons peur qu’il nous arrive malheur, peur de souffrir.

Nous réagissons alors par le stress, la fuite ou, au contraire, par l’agressivité.

Pire encore, nous pouvons être saisis par le sentiment qu’il vaudrait mieux en finir tout de suite. C’est alors que l’idée du suicide peut montrer son visage hideux et menaçant. Le suicide pour éviter un avenir qui nous paraît insupportable.

Mais c’est une erreur ! Une erreur de jugement.

Comment le monde a changé, et les conséquences pour les personnes qui se sentent « rejetées »

Nos vies, aujourd’hui, sont bien différentes de ce qu’elles furent dans l’Antiquité, et même dans les villages retirés d’Europe au XXe siècle. Nous ne risquons plus d’être lynchés par la foule.

Nous vivons aujourd’hui dans ce que le philosophe Karl Popper a appelé une « société ouverte », par opposition aux tribus fermées d’autrefois, où toute personne qui ne faisait pas partie de la tribu était ennemie à mort.

  • Une personne vous rejette ? Pas de problème, il y en a des milliers, ailleurs, qui ne demandent qu’à découvrir un nouvel ami. « Une de perdue, dix de retrouvées », dit sagement le dicton.
  • Un groupe vous rejette ? Changez de groupe !
  • Votre entreprise ne veut plus de vous ? Changez d’entreprise !
  • Votre village, votre quartier, vous déteste ? Déménagez.

Il ne tient qu’à nous de repartir sur de nouvelles bases, si notre situation ne nous convient plus, si nous nous sentons « rejetés ».

Le principal obstacle, c’est nous-mêmes.

C’est notre conviction que les autres « ne veulent pas de nous ».

Méfiez-vous de vos instincts

Nous devons donc nous méfier de nos réflexes, de nos instincts. Autrefois, ils nous protégeaient. Aujourd’hui, ils nous menacent.

  • Ainsi, telle personne licenciée qui croit qu’elle est définitivement « fichue », que plus personne ne voudra d’elle, qu’elle est « inemployable », et qui ne trouve plus en elle-même la ressource pour se remettre en selle.
  • Telle personne abandonnée par son conjoint qui pense qu’elle est condamnée à la solitude définitive, et qui s’enferme dans l’isolement.
  • Telle personne rejetée par sa famille, qui croit qu’elle ne pourra jamais retrouver la chaleur d’un foyer, et qui sombre dans la dépression.
  • Cet adolescent qui croit qu’il n’a plus d’avenir parce qu’il est critiqué sur Facebook. « Tous mes amis m’ont vu » dans telle situation compromettante. Il croit que c’est définitif, que mieux vaut mourir tout de suite !

C’est ainsi que chaque jour meurent des victimes qui font cette erreur de jugement.

L’erreur du suicide

Le suicide est une solution définitive à un problème qui est, en général, momentané.

Pas toujours momentané.

Ainsi, ce soldat kurde qui s’est suicidé avant de tomber entre les mains de l’ISIS. Ou Hitler qui s’est tué dans son bunker avant de tomber aux mains des Russes… Vu les supplices qu’ils auraient subis, ils ont sans doute gagné au change en se tuant avant d’être pris.

Mais les personnes tentées par le suicide font en général une grave erreur d’appréciation.

Elles croient être confrontées à un problème terrible. Elles croient ne pas pouvoir affronter la vie et ses douleurs. Elles croient être « fichues ». Mais… elles se trompent !

Rejeté… sur Facebook

Les adolescents d’aujourd’hui (mais aussi certains adultes, malheureusement) sont victimes d’un phénomène nouveau particulièrement vicieux : l’impression d’être rejetés créée par Facebook ou Internet.

Si vous avez été critiqué sur Facebook, vous pouvez allumer votre écran à n’importe quelle heure du jour ou de la nuit et vous rendre sur la page en question : vous verrez votre image attaquée, critiquée, mise en cause. Et vous paniquerez en pensant que cela restera pour l’éternité gravé dans les mémoires informatiques.

C’est la version moderne de « l’œil » qui regardait Caïn, où qu’il aille. C’est un sentiment affreux, qui peut pousser à la dépression. Des adolescents se tuent après avoir été victimes de « cyber-harcèlement ».

Mais Internet n’est pas la réalité. Vous avez l’impression que ce sont « vos amis », ou d’autres personnes (blogueurs en tout genre), qui vous accusent. Mais non. Ce sont des machines informatiques qui font apparaître sur les écrans des mots, des images et autres « contenus ». Ne les voient que les personnes qui en ont l’envie, le temps et l’idée, et l’expérience montre que les modes sur Internet tournent à toute vitesse.

Rarement une photo, une information, ne fait le « buzz » plus de quelques heures. Immédiatement après, les gens passent à autre chose et la fréquentation de la page en question s’effondre.

On ne compte déjà plus les « Wikileaks », « Luxleaks », « Swissleaks », « Panamaleaks », les piratages de la CIA, des grands partis politiques, des grandes entreprises, etc.

Qui se souviendra, dans trois ans, des « révélations fracassantes » sur Hillary Clinton, les maîtresses de son mari, les stages de la famille Fillon, les emplois fictifs de Marine Le Pen et des « dérapages » de Macron ?

Interrogez des adolescents : ils confondent déjà François Mitterrand et Jacques Chirac. La plupart n’ont jamais entendu parler de Lionel Jospin. Ils n’ont aucun souvenir de sa défaite du 21 avril 2002, qu’on nous avait présentée à l’époque comme si « marquante » pour l’avenir de la France…

Je suis prêt à parier que, dans cinq ans, la plupart n’auront plus le moindre souvenir des frasques de Dominique Strauss-Kahn, qui ont pourtant été étalées pendant des mois dans la presse du monde entier !

Apprendre à nos jeunes à être heureux

Le jeune enfant est heureux quand il lit l’amour et la joie dans le regard de ses parents. Cela lui suffit pour se remplir de bonheur.

Mais l’adolescent a besoin de lire ce même amour, cette même joie dans le regard de ses pairs dans sa classe, son groupe, sa bande…

C’est là que les choses se corsent.

Car, justement, les adolescents cultivent l’art de la dérision, de la moquerie, de la « vanne » permanente : « Haha, trop nul !!! », « Trop zarbi… », « Y est trop chelou, lui »…

Être gentil et aimable est le meilleur moyen de passer pour un « looser » (un perdant). Il faut avoir l’air caillera (racaille), rebelle, être agressif, imiter les footballeurs de la télé et surtout les rappeurs toujours maussades, menaçants, souvent furieux.

À ce jeu, les adolescents les plus transgressifs sont les plus admirés. Celui qui a osé fumer acquiert plus de prestige que l’enfant sage. Celui qui ose le cannabis plus que celui qui n’a fumé que du tabac. Celui qui ose la cocaïne encore plus. Et les autres se sentent mal. Chacun a ses raisons de se sentir nul.

L’un est trop maigre, l’autre est trop gros. Trop boutonneux, trop grand ou trop petit. Une voix qui ne convient pas, une poitrine trop creuse ou trop généreuse, des cheveux trop épais ou pas assez, des pieds trop grands, des poils disgracieux, un grain de beauté mal placé, des dents jaunes et mal alignées, de mauvaises notes, un handicap : tout est bon pour alimenter la crainte de ne pas être aimé, d’être rejeté…

Pour surmonter son angoisse, sa peur, chaque adolescent cherche à se conformer au mieux à l’image qu’il croit que les autres attendent de lui. C’est ainsi que vous les voyez porter tous les mêmes baskets, les mêmes pantalons serrés, les mêmes sacs à dos, vestes et smartphones, les mêmes coiffures, employer les mêmes expressions.

Chose qui n’existait pas à mon époque, il est devenu essentiel chez les adolescents de porter des chaussettes à ras des chaussures. À l’heure où retentit partout la revendication d’une prétendue « liberté », originalité, rejet des conventions, des contraintes, et où le mot « obéissance » est un gros mot, il est inenvisageable de partir au lycée, y compris en plein hiver, avec des chaussettes qui remonteraient de plus d’un centimètre et demi au-dessus des chaussures (de running).

L’adolescent, plus encore que les autres, craint d’être rejeté. À lui, en particulier, il faut expliquer que les critiques, la solitude, le chagrin d’amour, l’échec à l’école, le mépris des professeurs, les défauts physiques, n’auront pas en eux-mêmes de conséquences graves pour son avenir.

On peut vivre avec tout cela aujourd’hui. Cela n’implique rien sur les chances d’une vie réussie ou non, trente ans plus tard.

Ce qui est grave, c’est de se convaincre que ces échecs vont durer, qu’ils sont définitifs, et de s’enfermer dans un comportement destructeur, à cause de cela.

Il faut lui dire que, quand il prendra des cheveux blancs comme nous, il comprendra que la plupart des épreuves de la vie n’ont qu’un temps.

Vous avez de la chance ? Tant mieux. Vous n’avez pas de chance ? Tant mieux aussi. Car le manque de chance vous oblige toujours à faire une chose que vous n’aviez pas prévue, ou envie, de faire.

Et c’est en faisant cette chose que, comme par miracle, vous faites une découverte, une rencontre, vous vivez une expérience que vous n’auriez pas connue autrement.

  • Combien de personnes licenciées ont compris après coup que ça avait été une chance, qui leur a permis de trouver un emploi plus gratifiant ?
  • Combien d’entrepreneurs en faillite, après une période de désespoir, remontent une société qui, finalement, fera dix fois mieux que la première ?
  • Combien d’amoureux délaissés ne trouvent-ils pas la perle rare ?

Et même si, par la suite, vous ne parvenez pas à retrouver une situation aussi enviable, les aléas de l’existence ne sont-ils pas, finalement, ce qui fait l’intérêt de la vie ?

On lit les mémoires des explorateurs : quand la mer est calme, que le soleil brille et que le bateau vogue normalement, cela tient en une ligne. Mais que se produisent une tempête, un naufrage, un débarquement en catastrophe sur un îlot peuplé de cannibales, voilà que la plume s’emballe, que notre auteur en met des pages et des pages !

Il me semble que, quand les années s’accumulent, il importe peu finalement que les événements aient été heureux ou malheureux.

Au contraire, même : souvent ce sont les événements malheureux qui nous ont le plus façonnés, renforcés, et fait progresser. Ce sont eux qui nous donnent une force morale, une résistance aux chocs, une endurance face aux vexations et aux douleurs, que nous ne pensions pas acquérir un jour et qui nous rendent plus paisibles et donc plus heureux.

Je n’aime pas beaucoup la phrase de Nietzsche qui disait que « ce qui ne vous tue pas vous rend plus fort ». Car il y a beaucoup d’événements dans la vie qui, sans vous tuer, peuvent néanmoins vous affaiblir, fortement.

Mais j’aime beaucoup la phrase de l’Évangile qui dit : « Ce n’est pas ce qui entre dans la bouche qui souille l’homme, mais ce qui sort de la bouche. »

Elle veut dire que ce ne sont pas les événements extérieurs, ce qu’on vous fait, ce qu’on vous impose, qui vous salit et vous affaiblit. C’est ce que vous décidez de dire et de faire qui importe.

Or cela tombe bien, puisque justement, on nous dit également qu’il « n’est jamais trop tard pour bien faire ».

À votre santé !

Jean-Marc Dupuis

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